A
propos du film
"Le
Mur, la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme",
de Sophie Robert
Voici les liens vers:
Le
film, sur le site d'autistes sans frontières
La requête de trois psychanalystes
Le jugement rendu le 26 janvier 2012
(Actualisation des 30 janvier et 18 février 2012: le 26 janvier le tribunal de grande instance de Lille a ordonné que les extraits des propos des plaignants soient retirés du film. Le premier lien ci-dessus ne renvoie donc plus au film. Par contre la page d'Autistes sans frontières permet d'accéder au jugement, lequel confirme, en remettant les propos dans leur contexte, ce que je supposais et exposais ci-dessous: qu'il y a eu <<présentation tronquée et déformée des propos>> des plaignants.)
Ce film dure une cinquantaine de minutes alternant d'une part interviews de psychanalytes et de professeurs de pédopsychiatrie (Prs Delion et Golse notamment) et d'autre part présentation de quelques enfants autistes avec leur famille.
Le temps de parole des psys doit donc durer en tout et pour tout environ une demi-heure, sur les nombreuses heures d'interviews qui auraient été faites.
Ce qui a été retenu de ces dernières et la façon dont sont enchaînées les séquences donnent un aperçu qui tend à ridiculiser les thèses psychanalytiques, d'autant, me semble-t-il, que s'ajoute une confusion entre les propos qui se rapportent strictement à l'autisme et ceux qui se rapportent soit aux psychoses infantiles (les tableaux autistique et psychotique - ce dernier étant plus souvent nommé en France "dysharmonie psychotique" - sont très différents. On peut consulter sur le présent site: des différences entre autisme et psychose infantiles), soit au développement de la psyché, soit à la triangulation familiale (relations parents-enfant).
Découper à ce point les interviews et ne retenir que des morceaux très courts ne permet plus d'en saisir la cohérence au sein d'une démonstration et d'un contexte, et on ne peut dès lors avoir connaissance des possibles nuances ou références que peuvent avoir effectuées les auteurs.
Si, par ailleurs, on en croît la requête faite par trois des psychanlystes auprès de la justice, le but des interviews, énoncé par la réalisatrice, aurait été trompeur.Toute personne qui connaît les travaux des psychanalytes de renom, tels que Lacan ou Winnicott qui sont cités, sera frappée par les simplifications faites: traiter de la notion lacanienne de forclusion en deux minutes est une abberration; aplatir celle de "préoccupation maternelle primaire" de Winnicott (extrêmement riche et tout à fait observable) sur l'expression "folie maternelle" (comme s'il avait soutenu que les mères, à la naissance de leur enfant, étaient folles!) en est une autre...
(A propos de cette notion de "préoccupation maternelle primaire", Winnicott emploie certes le terme "maladie" mais en y ajoutant "normale" ou en le faisant précéder de "presque", expliquant qu'il s'agit d'un état, très particulier et temporaire, de beaucoup de mères, mais bien sûr pas de toutes, qui les rend hypersensibles aux besoins de leur nourrisson et leur permet ainsi d'y répondre. Il évoque à ce sujet la notion de "dévouement". Si l'on voulait parler de folie, ce serait alors au sens populaire, lorsque l'on parle de passion folle, dans laquelle l'objet aimé est magnifié et occupe l'esprit de celui qu'elle habite.)Il est explicite que ces extraits d'interviews ont pour objectif de montrer que la psychanalyse continue de rendre responsables de l'atteinte autistique les mères et également les pères (qui seraient dits, par les psychanalystes, trop absents ou ne s'interposant pas entre la mère et l'enfant). Mais aucune référence à la quantité de praticiens qui, tout en s'appuyant sur les concepts et l'éthique psychanalytiques, soutiennent au quotidien enfants, familles et équipes. Aucune référence concrète non plus au travail institutionnel de structures n'utilisant pas les méthodes cognitivo-comportementalistes. (Petite parenthèse au passage pour informer que l'association du cognitivisme et du comportementalisme n'est pas évidente dans la mesure où le mouvement cognitiviste s'est au départ créé en réaction au behaviorisme, lequel ne voulait rien savoir de la "boîte noire", c'est-à-dire de ce qui pouvait se passer entre le stimulus et la réponse.)
Le "documentaire" affirme d'emblée que l'autisme (le pluriel serait préférable étant donné la diversité clinique) est d'origine neurologique et que son "traitement" doit être éducatif, ajoutant que cela est reconnu par l'ensemble de la communauté scientifique internationale mais ignoré par la grande majorité des psychiatres français.
Ce dernier point est faux: les psychiatres et psychanalystes français connaissent tout à fait les approches rééducatives et les résultats des recherches en neuro-imagerie cérébrale et en génétique, mais ils sont souvent nuancés quant aux interprétations de ces résultats et quant aux pratiques uniquement rééducatives (surtout si elles sont intensives).
Quant à l'origine neurologique, il peut y avoir questions dans la mesure où certes, d'une certaine façon, tout est neurologique car tout phénomène comportemental ou psychique a obligatoirement une correspondance neurologique, mais qu'affirmer une origine unique est contestable.
On sait depuis très longtemps maintenant que correspondance (ou corrélation) ne signifie pas causalité, et que le développement humain, et ce dès l'embryogenèse, est d'une extrême complexité, que le génome et ses éventuels désordres interagissent avec l'environnement au sens large (ce dernier comprenant à la fois les processus physiologiques, l'infinité des stimulations externes, les influences d'autrui, etc...), avec de multiples boucles de rétroactions. L'humain étant bio-psycho-social et être de langage, rien chez lui ne peut se réduire à une simple causalité linéaire.
Je renvoie sur ce point à la première critique importante que j'ai trouvée sur internet à propos du contenu de ce film, sur le site "cent papiers".Le Mur est donc nettement partisan, accusateur et caricatural, paraissant a priori d'autant moins contestable pour le public qu'il s'appuie sur les paroles mêmes de psychanalystes, lesquelles, il faut le reconnaître, peuvent surprendre dans ce qui en a été retenu et diffusé. Mais quand on connaît la prudence, les compétences et l'expérience de professeurs tels que Messieurs Delion et Golse, on ne peut que se poser des questions sur le filtrage et le montage.
La question des autismes, douloureuse pour tant de familles, aurait mérité beaucoup mieux que ce procès à charge, à savoir: un véritable reportage présentant les différentes approches et méthodes; présentant le travail qui se fait dans nombre d'hôpitaux de jour et d'IME, en partenariat avec les écoles; les divers ateliers proposés aux enfant et adolescents; les progrès importants que beaucoup font au sein de ces structures... Un reportage qui permettrait un débat ouvert: sur les actions menées, sur les très nombreuses études ayant été faites sur les origines possibles des autismes; sur les grandes différences entre sujets ... Un reportage n'oubliant pas aussi les cas d'autisme gravissime, car, hélas, il y en a. (Je constate en effet depuis longtemps que lorsque la télévision présente des enfants et adolescents autistes ou trisomiques, à propos de méthodes éducatives ou pour prôner leur intégration scolaire, ceux-ci ne présentent pas de troubles apparents majeurs et ont acquis le langage. Ce qui se comprend, notamment parce qu'il faut leur accord ou celui des familles. Mais il faut savoir qu'il y a nombre d'enfants autistes ou/et ayant une déficience intellectuelle qui ont des difficultés majeures: grande agressivité, quasi absence d'autonomie primaire, stéréotypies incessantes, auto-mutilations...).
Non pas, donc, cinquante minutes, ou plutôt trente, de caricatures, dans le cadre d'une guerre déclarée à "la" psychanalyse (on ne peut éviter de penser à d'autres attaques récentes: le rapport Inserm sur les psychothérapies, le Livre noir de la psychanalyse, la plainte contre X d'associations de parents à propos du packing, les deux ouvrages d'Onfray...) mais un véritable reportage de journaliste qui essaie de voir son sujet sous ses différents angles. Des heures, sans doute, nécessaires pour faire entrevoir la complexité d'une affection sur laquelle demeurent de nombreuses incertitudes qui obligent à beaucoup de modestie, et pour faire connaître, sans exclusive, les différentes formes d'aide.
(Pour un aperçu de la multiplicité des travaux sur les autismes, on peut se reporter à ma page: autismes, travaux et recherches.)Le Docteur Monica Zilbovicious, directeur de recherche à l'INSERM, dans l'interview filmée qui suit Le Mur, est quant à elle beaucoup plus nuancée dans sa présentation des troubles autistiques, notamment en ce qui concerne leur étiologie. Elle rappelle qu'il y a une forte suspicion d'une sensibilité génétique, mais pas obligatoirement une causalité génétique. A la quasi affirmation hâtive de la personne qui l'interviewe (selon laquelle, s'il y a beaucoup plus de garçons atteints que de filles, c'est que c'est génétique), le Dr Zilbovicious corrige, parlant de possible fragilité du cerveau du garçon par rapport au stress, avec par exemple des influences hormonales.
Concernant le sillon temporal supérieur, dysfontionnant (ou fonctionnant de façon moindre) dans l'autisme, elle semble toutefois en faire la raison des troubles de la perception des indices "sociaux". Mais c'est justement là que l'on pourrait se demander qui de l'oeuf ou de la poule... Strictement, on ne peut que constater une corrélation. D'autant qu'elle ne dit pas quel âge avaient les sujets au moment de ces examens.
Ce qu'elle expose concernant les troubles du regard est depuis assez longtemps connu, mais amène trois remarques:
1) La recherche américaine montrant que les enfants autistes ne regardent pas les yeux de la personne qui lui fait face, mais la bouche ou ailleurs, aurait concerné des enfants de 16 à 18 mois. Or, il y a des enregistrements (en France mais certainement dans bien d'autres pays) qui ont été faits bien plus tôt, ainsi que des observations sur le nourrisson, qui montrent déjà, dès les premières semaines dans certains cas, une altération des interactions visuelles. Elle n'y fait pas allusion.
2) Elle montre sur l'écran de son ordinateur que l'enfant ne perçoit donc qu'une zone (celle de la bouche) qui donne peu d'informations sur les émotions, n'évoquant pas la vision périphérique, importante pourtant chez les autistes.
3) Et surtout, elle ne pose pas la question, qui pourtant s'impose, de savoir pourquoi il ne regarde pas les yeux!
Alors que son exposé est intéressant et n'oublie pas de mentionner l'apport de l'expérience dans le développement cérébral, on peut cependant fortement regretter qu'elle ne fasse aucune allusion, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse, au rôle possible et au moins partiel, dans les troubles autistiques, des échanges primaires du nourrisson avec son entourage, alors qu'il y a eu de nombreuses observations sur leur importance.
Est-ce, comme le film Le Mur l'affirme, parce que ce serait accuser les parents ?
Il ne s'agit pourtant pas, en la matière, de chercher des responsables mais d'essayer de saisir, pour prévenir dès que possible, ce qui pourrait entraîner, à partir de dysfonctionnements précoces dans les échanges relationnels (pouvant d'ailleurs venir prioritairement du bébé), une spirale pouvant déboucher sur un syndrome autistique. (Parmi les psychanalystes qui étudient depuis longtemps les signes précoces d'autisme, on peut citer Marie-Christine Laznik dont on peut d'ailleurs lire une interview de 2005 qui traite précisément du thème du film.Elle travaille au sein de l'Association PréAut).
Evidemment ce point de vue implique de ne pas privilégier la perspective fixiste et uniquement organiciste, mais de concevoir le développement en termes de complexité et d'interactions, le syndrome pouvant alors être le résultat, comme M.Zilbovicious le dit d'ailleurs elle-même, de processus étiologiques différents, de "parcours développementaux" hétérogènes.
Après la requête en justice de trois des psychanalystes interviewés, on parle sur le net de demande d'interdiction du film.
A imaginer que cela soit possible, je ne pense pas que ce serait souhaitable.
Ce qui serait à mon sens nécessaire, c'est l'équivalent d'un droit de réponse, obligatoirement joint au film, par lequel les interviewés qui le souhaitent exposeraient leurs contestations.
(le film n'a pas été interdit mais les extraits d'interviews des trois plaignants doivent être retirés.)Maurice Villard
Novembre 2011
Actualisations de décembre 2011 et janvier 2012
Sur le site de Michel Balat, on trouvera un document de la CIPPA (Autisme et psychanalyse aujourd'hui) présentant le travail de psychanalystes sur les autismes,
et dans lequel certaines personnes interviewées pour le film Le Mur donnent leurs réponses.Sur le site d'autiste en France, on peut lire
l'avis d'un étudiant en psychologie sur mon article de la présente page
et ma réponse.En surfant sur les nombreuses pages internet traitant de ce film, on peut constater la fréquence d'échanges non seulement contradictoires, ce qui est le propre du débat, mais souvent extrêmement agressifs et parfois même injurieux. On peut donc se demander pourquoi la question des autismes suscite à ce point les passions.
Si j'en ai le temps, peut-être ferai-je ultérieurement quelques hypothèses.
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