Maurice Villard
Réflexions critiques sur le texte
(accessible en ligne)
de LOUIS CHALOULT, JEAN GOULET, THANH-LAN NGÔ ET MAGALIE LUSSIER-VALADE
Thérapie cognitivo-comportementale: guides de pratiques et autres outils
2018
Je dois dire en liminaire que, même si, en tant que psychologue clinicien, je n'ai jamais été personnellement adepte de ce type de thérapie, je comprends très bien que des personnes souffrant de difficultés psychiques y aient recours, et que certaines puissent en tirer des bénéfices. Je donnerai ultérieurement mes hypothèses sur les ressorts possibles de ces bénéfices éventuels.
Je déroulerai, dans l'ordre du texte de ce guide TCC, qui comprend 131 pages, les idées principales et mes réflexions au fur et à mesure. Les citations sont en italique. Mes commentaires seront entre crochets.En avant-propos, la TCC est définie comme une "thérapie active, directive, structurée et limitée dans le temps. On peut la concevoir comme une forme d'entraînement à agir et à penser de façon mieux adaptée lorsque vos émotions, vos pensées ou vos comportements sont sources de souffrance. Comme pour la plupart des entraînements, les résultats sont le fruit d'une pratique longue et régulière. "
Il est noté qu'il s'agit d'une " restructuration cognitive "
[Le premier point que je relève comme pouvant faire débat est l'expression : " penser de façon mieux adaptée. " On est là dans une perspective qui paraît évidente aux auteurs mais qui devrait pourtant poser question.]
Les principaux concepts utilisés sont : événement, émotion, pensée, comportement.
- Les émotions sont agréables, désagréables fonctionnelles (autrement dit utiles), désagréables dysfonctionnelles.
- La pensée est la façon dont un individu se parle à lui-même [Définition très pauvre selon moi et qui ne fait référence qu'au langage courant, explicite.]
- Le comportement est une action volontaire, observable et mesurable d'un organisme vivant.
- Quatre familles d'émotions sont utilisées: anxiété, hostilité, culpabilité, tristesse. [Sans que l'on sache vraiment quels critères ont permis de mettre les autres émotions dans l'une de ces 4 catégories. Par ex. l'épouvante classée dans l'anxiété ! L'impatience dans l'hostilité ! Les regrets dans la culpabilité ! Le désespoir dans la tristesse Sinon qu'elles seraient produites par des pensées semblables : " un danger me menace que je ne pourrai éviter ", pour l'anxiété ; une personne n'a pas fait ou a fait quelque chose qui ne correspond pas à ce que je pense, pour l'hostilité ; " j'aurais dû faire ou ne pas faire ", pour la culpabilité ; " l'évènement est mauvais pour moi ", pour la tristesse...
Catégorisation qui me paraît très arbitraire et simplificatrice.]- Les émotions sont dysfonctionnelles si elles sont trop intenses, trop fréquentes ou durent trop longtemps. [Autrement dit : quand c'est " trop "]. [Dans le DSM V, il me semble aussi que le deuil devient " pathologique " quand il dure plus de deux mois ?]
- Principe fondamental : ce n'est pas l'évènement qui cause l'émotion mais la perception que l'on en a, son " interprétation ".
Le schéma est des plus simples, les termes étant reliés par une flèche dans le sens de gauche à droite :
Occasion >>> pensée >>> émotion.
[Cela m'évoque le schéma stimulus-réponse du behaviorisme, en incluant les pensées dans ce que ce dernier avait nommé la " boîte noire ".
Un très bref instant, les auteurs semblent toutefois entrevoir la pauvreté de leur schéma et ajoutent que les émotions ne sont pas toutes dues aux pensées, mais que certaines sont d'origine physiologique. Je ne vois guère en quoi il y aurait là une opposition, car existe-t-il des émotions sans processus physiologique, des pensées sans processus neurologiques ? Et ils précisent que les trois termes interagissent les uns avec les autres, sans que cette idée soit développée, car ils écrivent immédiatement : " il n'en demeure pas moins que les émotions sont influencées principalement par des interprétations. " Ceci me paraît assez juste dans leur perspective restrictive, mais pourrait cependant être discuté. Chez le tout petit enfant par exemple, cette affirmation tient-elle ? Le travail d'Henri Wallon, et d'autres, sur les bases tonico-posturales et proprioceptives des émotions paraît totalement inconnu des auteurs.]
Ces premières explications sont ainsi résumées: " Les émotions des êtres humains résultent avant tout de leurs interprétations (pensées, perceptions, conceptions) plutôt que des évènements. Pour changer une émotion dysfonctionnelle ou en diminuer l'intensité, il importe avant tout de changer l'interprétation ou les pensées qui influencent cette émotion sans nécessairement avoir à changer l'évènement qui en est l'occasion. La méthode pour changer la pensée se nomme la restructuration cognitive. "
[Dans toute cette démonstration, résumée ici mais agrémentée de tableaux et d'"exercices", je vois notamment un point à interroger : qu'est-ce qui est dysfonctionnel ? Ce qui est " trop ", dit-on. Par rapport à quelles normes ? Malgré les commentaires plus ouverts qui seront faits dans la deuxième partie, la conception présentée me semble assez simpliste, proche de celle d'un "homme-machine" (comme l'ont dit certains) qui doit bien "fonctionner", bien s'adapter. Pour ce faire, si besoin, on doit modifier le mécanisme, "changer la pensée".]
" Ces pensées [dysfonctionnelles] sont soit irréalistes, soit inadaptées ou les deux à la fois. Irréalistes signifie ici qu'elles ne correspondent pas à une réalité communément admise et inadaptées qu'elles ne servent pas les intérêts de la personne concernée."
[Cette définition, qui pourrait donner lieu à une longue discussion, me semble très utilitariste, correspondant à une société de l'adaptabilité et de l'intérêt. Au-delà de l'individu concerné, au service de qui d'autre ? Aucune interrogation sur ce point, puisque seul semble être considéré l'intérêt particulier . On a donc pour but de remplacer la pensée qui " dysfonctionne " par une autre, comme on remplacerait la pièce défectueuse d'un mécanisme afin qu'il fonctionne correctement.
Les exemples de pensées fonctionnelles (évidentes, logiques et vérifiables, selon leurs termes) et de pensées dysfonctionnelles (moins évidentes, moins logiques et moins vérifiables) m'ont paru en effet d'un utilitarisme confondant, ne prenant évidemment pas en compte les processus d'identification, d'attachement, de transfert, de conflit intrapsychique, d'ambivalence, de pensée paradoxale Que viendraient faire ces termes complexes dans une démonstration qui se veut des plus simples ?
"Une pensée fonctionnelle aide une personne à atteindre ses objectifs, alors qu'une pensée dysfonctionnelle nuit à leur réalisation. " N'est-ce pas clair ?
Citons, parmi les exemples proposés : le conjoint qui est quitté par sa compagne, " après tout ce qu'il a fait pour elle ", "je ne peux le supporter [ce départ] parce que j'ai besoin d'elle pour être heureux."]
- La procédure. On peut s'aider de l'écriture pour prendre de la distance et ordonner ses pensées. Mais il faut du temps car les "croyances dysfonctionnelles [ont été] apprises et profondément ancrées en soi depuis l'enfance et ont été ressassées des milliers de fois." [Sans être citée, la théorie du conditionnement n'est-elle pas ici suggérée ?]
Est préconisé d'établir un Tableau d'enregistrement des pensées (TEP) à plusieurs colonnes.
1) identifier les pensées automatiques ; 2) se questionner à leur sujet ; 3) modifier les pensées dysfonctionnelles ; 4) déterminer les comportements les mieux adaptés.
Inscription en colonnes de : l'événement, l'émotion (en la situant sur une échelle de 0 à 100), les pensées automatiques. Celles-ci sont-elles vraies ou fausses ? Peut-on voir les choses autrement ? Les conséquences sont-elles si graves ?
On cherche les pensées fonctionnelles remplaçantes.
On mesure à nouveau l'intensité de l'émotion.
On détermine l'action.
" En somme, le TEP vous permet de mieux vous observer au quotidien, d'identifier plus particulièrement les situations qui vous causent de la souffrance, d'isoler les différents facteurs en cause (évènements, émotions, pensées et comportements) puis de les aborder à tour de rôle pour les améliorer dans la mesure du possible. Dans un deuxième temps, il ouvre une porte vous permettant de prendre conscience et de changer les attitudes et les croyances dysfonctionnelles souvent peu conscientes et qui nuisent à votre bien-être et à celui des personnes qui vous entourent. Mais pour en tirer vraiment profit, il faut bien vous familiariser avec son fonctionnement et l'utiliser avec régularité pendant au moins un certain temps. "
[Pourquoi pas ? Mais si on pense à une personne de structure obsessionnelle ?]
L'évènement peut être explicite, mais peut être également une pensée ou une émotion.
Il est conseillé de noter la date et l'heure de l'événement.
L'émotion a le même rôle que la douleur physique (d'alerte).
" Être à l'affût au quotidien des épisodes au cours desquels on ressent une émotion causant un malaise ou une souffrance psychologique forte ou légère. " Les départager, les inscrire, " n'intervenir que sur une seule émotion à la fois. "
Quantifier l'émotion, de 0 à 100.
Identifier les pensées automatiques.
" Bien identifier les émotions survenues au cours d'un même événement, les regrouper par famille puis les aborder à tour de rôle en ne mentionnant que les pensées responsables des émotions de cette famille. Restructurer plusieurs émotions simultanément est le meilleur moyen pour se perdre dans ce travail plus difficile qu'il ne parait à première vue. "
[L'identification des pensées automatiques me fait penser aux associations d'idées en psychanalyse, mais il s'agit là de les identifier "clairement" (p.55), et donc de mettre une butée, d'arrêter la chaîne signifiante (cette notion a-t-elle d'ailleurs un sens en TCC ?)]
- Départager les pensées dysfonctionnelles de celles qui sont fonctionnelles : interrogations sur leur véracité ; sur les possibilités de voir les choses autrement ; sur les conséquences si cela arrivait (dédramatisation). Utilisation du tableau.
"Si elles sont dysfonctionnelles il est souhaitable de les remplacer par d'autres mieux adaptées. "
Les pensées remplaçantes doivent être : plus réalistes, logiques et vérifiables ; doivent être exprimées en termes nuancés ; être suivies d'émotions modérées et non dommageables ; aidant à atteindre ses objectifs.
Mais les croyances et attitudes peuvent rendre difficile ce travail, c'est pourquoi " l'assistance d'un thérapeute est précieuse "
- Le passage à l'action. " Demandez-vous comment vous pourriez vous comporter différemment compte tenu de votre nouvelle façon de voir les choses. " Jugez des résultats.
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Le patient qui voudrait aller plus loin peut s'initier à la thérapie cognitive introspective. " si vous voulez aller plus loin, demandez-vous d'où viennent ces pensées et ces émotions, pourquoi elles apparaissent spontanément dans votre esprit, pourquoi elles sont si différentes d'une personne à l'autre dans une même situation et pourquoi certaines d'entre elles réapparaissent malgré tous vos efforts pour vous en débarrasser. Vous verrez que c'est parce qu'elles découlent d'un ensemble de croyances sous-jacentes plus ou moins conscientes dont certaines sont parfois utiles et d'autres nuisibles. La thérapie consiste donc maintenant à rendre conscientes ces croyances, à identifier celles qui sont nuisibles et à les remplacer par d'autres mieux adaptées. "
Il est donc utile de comprendre nos croyances et les 4 attitudes dysfonctionnelles les plus répandues, pour les modifier.
Les croyances viennent de l'environnement et du tempérament (" Celui qui nait agressif aura davantage tendance à valoriser l'affrontement pour régler ses conflits tandis que celui qui est de nature plutôt calme choisira de préférence la négociation. " Elles proviennent aussi des traumatismes, des maladies.
" Les croyances fondamentales sont généralement inconscientes. Elles prennent souvent la forme de vérités absolues, rigides et globales qu'il est difficile de changer."
[Nous aurions ici l'opportunité d'aborder la complexité de la constitution des croyances. Mais on reste sur une perception causaliste vague et passe-partout.]
Il y a des croyances intermédiaires.
Les présomptions (" la personne en cause les vit généralement comme des certitudes plutôt que comme des hypothèses. ") ; les règles (il faut ) ; les attitudes (" résultat prévisible et répétitif des présomptions ou des règles provenant de ces croyances. Elles peuvent se manifester de diverses façons au niveau du discours intérieur de la personne et provoquer à leur tour l'apparition d'émotions et de comportements dysfonctionnels eux-mêmes prévisibles et répétitifs.").
" Le but de la thérapie est de rendre ces croyances conscientes et de les remplacer par d'autres plus vraies et mieux adaptées. [Aucune réflexion sur cette notion de croyances plus ou moins vraies!] Il en résultera une diminution des pensées, émotions et comportements dysfonctionnels et par conséquent une amélioration de la qualité de vie. "
" C'est Albert Ellis, psychologue New-Yorkais et pionnier de l'approche cognitivo-comportementale (qu'il appelait approche émotivo-rationnelle), qui a le plus contribué à la mise en évidence et à l'utilisation de cette notion d'attitude dysfonctionnelle. Pour lui, quatre attitudes qu'il nomme "attitudes dysfonctionnelles de base" se situent parmi les plus importantes et les plus nuisibles dans la société contemporaine. Ce sont les suivantes : 1. Les exigences rigides 2. La dramatisation 3. La non-acceptation 4. Le jugement global sur la valeur personnelle."
Un désir devient un besoin quand l'objet est indispensable, ou si on le considère comme essentiel sans qu'il le soit vraiment (biens matériels ou liés à l'amour des autres ou liés au plaisir ou à l'évitement de l'inconfort). D'où une possible exigence rigide, à distinguer de la préférence. On peut présenter un continuum du désir (de 0 à 100%).
Les lois. Celles de l'univers, et celles conçues par les groupes ou les individus. " Les lois auxquelles nous nous intéressons ici sont les lois conçues par les êtres humains, et plus particulièrement les lois individuelles. "
[Cette précision me paraît intéressante, car elle scotomise tous les aspects socio-économiques. On n'aurait affaire qu'à des individus.]
" Loi souple = désir d'une règle de conduite + préférence. Loi plus ou moins rigide = désir d'une règle de conduite + exigence plus ou moins rigide. " " Lois plus ou moins rigides causant des émotions plus ou moins dysfonctionnelles."
" Besoins artificiels + lois rigides = exigences rigides. "
Les exigences sont vis-à-vis de soi-même ou d'autrui.
" Ce que Horney a appelé "la tyrannie des exigences" (Horney, 1942) et les dangers qui en résultent avaient depuis longtemps attiré l'attention de philosophes et d'autres penseurs. Mentionnons, entre autres, les philosophes stoïciens Épictète, Marc-Aurèle et Spinoza, et les psychanalystes Reich et Anna Freud. Albert Ellis a mis cet aspect davantage en évidence car il considère les exigences comme la principale source des malheurs des êtres humains. C'est ce qui l'amène à tant insister sur ce sujet. Pour diminuer nos émotions dysfonctionnelles et améliorer notre qualité de vie, soyons à l'affût dans notre quotidien des " il faut ", " je dois ", " tu dois ", " il doit " ou autres expressions courantes reflétant la présence d'exigences rigides. Cherchons à reconnaître ces exigences, à bien en prendre conscience puis à les atténuer. "
[En psychanalyse il s'agit de la question du "Surmoi ", mais elle fut, par Freud et ses successeurs, autrement élaborée, autrement complexe. On peut également tiquer sur l'idée que les exigences sont les principales sources de malheur. Non seulement leur absence ou leur faiblesse peuvent être pires mais les malheurs ont hélas bien d'autres causes !]
La Dramatisation. " le sujet qui dramatise en arrive à voir l'ensemble d'une situation sous un angle exagérément inquiétant ou même catastrophique Elle devient une attitude dysfonctionnelle lorsqu'elle se répète fréquemment chez le même individu."
" plus un individu s'est préparé, au cours de sa vie, à accepter les situations qu'il ne peut changer, plus il se montrera apte à affronter les scénarios les plus éprouvants. "
La non acceptation : des contrariétés du quotidien, de la douleur, de la maladie, du vieillissement, de la mort ; des limites, erreurs, échecs ; des pensées et émotions dysfonctionnelles ; des injustices ; de l'incertitude. [On ne peut qu'être frappé par ce mélange !]
" La non-acceptation résulte donc de cette combinaison exigence rigide et dramatisation, et son intensité est directement proportionnelle à la rigidité de l'exigence ou à l'intensité de la dramatisation. "
"Accepter ne veut pas dire être toujours d'accord ni aimer ce qui se présente comme les contrariétés, la souffrance ou les imperfections. Mais accepter veut dire les recevoir, les accueillir sereinement parce qu'épreuves, souffrance et mort font partie de la vie et que celui qui les accepte augmente ses possibilités de joie, de bien-être et donc de bonheur. " Il s'agit d'accepter ce qui ne peut être changé.
La globalisation des jugements. Elle dépend de nos valeurs et gouts, des circonstances, de la période de vie : " les caractéristiques extérieures d'une personne sont trop changeantes et trop discutables pour constituer une base valable pour évaluer ou comparer cette personne. " " il n'y a plus de bons et de méchants, mais uniquement des êtres humains qui, en certaines circonstances, se conduisent de façon appropriée ou de façon inappropriée et qui, par moments, réussissent ou ratent leurs entreprises. " " la plupart des systèmes de psychothérapie ont pour objectif d'augmenter l'estime de soi en enseignant aux gens à s'évaluer de façon plus positive, alors que les tenants de la thérapie cognitivo-comportementale préconisent de ne pas s'évaluer tout court. Il peut s'ensuivre une amélioration de l'estime de soi, mais cette amélioration résulte en bonne partie du fait que l'individu cesse de se dévaloriser en considérant ses échecs et ses erreurs. "
[J'ai comme une impression de contradiction entre cette " préconisation " de ne pas s'évaluer et le travail présenté dans la première partie, mais comme les auteurs ne font pas de pont théorique entre ces deux parties, il est difficile de savoir si elles sont ou non conciliables.]
Ensuite, sont présentés plusieurs exemples de croyances dysfonctionnelles, de techniques pour les identifier et les modifier.
Un exemple de séance avec le thérapeute (p. 119) montre que ce dernier pose une série de questions qui visent à persuader la patiente souffrant d'anxiété sociale que ses symptômes ne sont pas graves, que la timidité n'est pas obligatoirement mal jugée, qu'on ne peut pas être aimé de tout le monde.
En conclusion, sont suggérées : une bonne hygiène de vie, l'auto-observation, la relaxation ou la méditation.
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Ce type de thérapie, tel que décrit dans ce Manuel, me paraît essentiellement un travail quasi pédagogique de prise de distance, d'analyse (mais bien sûr pas dans le sens psychanalytique), et en ce sens peut aider certaines personnes. Il existe d'autres formes de TCC, basées sur les mêmes principes, certaines plus proche encore des techniques du conditionnement (ou reconditionnement), visant des symptômes bien précis, comme les diverses phobies, et ayant pour but de les faire disparaître ou de les maîtriser. Ce qui peut en effet être utile (est-ce le mot clé?) dans la vie quotidienne du patient.
On peut insister sur le fait que ces aides sont dirigistes et peuvent donc étayer la personne dans la mesure où celle-ci trouverait ainsi une sorte de " Moi auxiliaire ". On peut aussi estimer que ses effets sont en grande partie liés au transfert avec le thérapeute.
Cet aspect a été développé par plusieurs auteurs. Daniel Sybony, dans "L'enjeu d'exister. Analyse des thérapies" (Seuil, 2007), l'appelait "transfert ponctuel", réduit à un point, de dépendance de maître à élève. Le thérapeute TCC, disait-il en substance, suggère un programme d'apprentissage, une forme de déconditionnement. Ça marche si le patient y croit, s'il veut vraiment devenir conforme, s'il croit que ses "fausses croyances" pourront être remplacées par d'autres qui lui permettront d'être mieux "adapté". Le transfert ponctuel est dans ce cas orienté vers la "science" du comportement. (D.Sybony, L'enjeu d'exister. Analyse des thérapies. Le Seuil, 2007).
Voir ma note de lecture sur cet ouvrage
Ce qui est frappant, dans le contexte politique où on se trouve actuellement (avec la pression des autorités de santé pour imposer les thérapies cognitivo-comportementales, rééducatives et neuropsychologiques dans la prise en charge des jeunes enfants présentant un "trouble neuro-développemental", mais également pour d'autres catégories de difficultés psychiques), c'est que ces thérapies sont présentées généralement, et bien sûr par ses adeptes, comme "scientifiques".
Si, à la lecture de ce Manuel canadien, vous voyez quelque chose de scientifique, dites le moi, à moins que vous ne preniez les auto-évaluations de 0 à 100 et l'utilisation de tableaux pour des critères de scientificité !
Or, malgré les difficultés de la tâche, étant donné le nombre de variables en jeu, plusieurs études auraient montré que toutes les formes de psychothérapie avaient des résultats assez équivalents. Ce qui pourrait là aussi faire penser au transfert (terme maintenant honni ?).
Au demeurant, je suis persuadé que de nombreuses personnes estiment aller mieux après avoir vu une chiromancienne, un magnétiseur, ou autre.
En médecine déjà, la question des effets thérapeutiques n'est pas des plus simples, impliquant là aussi la relation avec le médecin, la confiance ou la défiance, la réaction de chacun aux médications, les effets placebo ou nocebo, etc alors que les médicaments ont été largement testés, avec essais randomisés. En psychologie, cette question de la "guérison" est encore plus ardue, et peut-être n'a-t-elle que le sens que chacun donne à ce terme.
La Nouvelle revue de psychanalyse avait sorti en 1978 (n°17) un numéro très intéressant sur L'idée de guérison. L'article de Jean-Claude Lavie, Guérir de quoi ?, avait particulièrement retenu mon attention. En voici quelques lignes de la fin : " Si la guérison n'est qu'une idée de guérison, ce n'est jamais qu'une idée de soi qui s'y trouve en jeu De génie ou de souffrance, toute parole n'est jamais que le cri d'un oiseau parmi d'autres, ou sa déjection : fugitive marque de territoire sur une exigeante carte d'identité.
Aussi n'est-ce, pour finir, que d'idées de vérité qu'il nous faut guérir. "
Ces mots pourraient paraître provocateurs ou méprisants par rapport aux paroles des patients que les thérapeutes reçoivent. Sauf à entendre ce que dit Lavie avec la signification que les crânes et squelettes avaient sur les tableaux de la Renaissance : ce que l'on appelle des "vanités", le rappel de notre condition mortelle. Serait-ce de cette condition dont on voudrait finalement guérir ? " Je sais bien mais quand même ! " avait écrit Octave Mannoni.
Si, donc, tels ou telles se sentent guéris ou davantage à l'aise grâce, selon leur conception, à telle ou telle technique, rien à redire. Ils sont seuls juges.
Mais, pour le thérapeute, cela ne peut signifier que toutes les techniques se valent sur le plan de l'éthique.
Pour ma part, c'est justement en raison d'une certaine éthique que je n'ai jamais utilisé, dans ma pratique, les TCC ou toute autre "thérapie" directive, sans pour autant penser que les thérapeutes qui les utilisent n'aient pas une éthique. La mienne m'a toujours écarté de ce que je ressentais comme pouvant être de l'ordre d'une influence vis-à-vis d'autrui, dans le travail que j'exerçais en tout cas, même si l'absence de toute influence est assez illusoire. Le principal n'est-il pas d'esssayer de la reconnaître et de s'en éloigner autant que possible.
En outre, le terme "psychothérapie", bien qu'employé couramment, m'a toujours un peu gêné, car le psychisme se soigne-t-il ? Question que j'avais abordée il y a longtemps dans mon ouvrage "Psychothérapie en Institution". Ce qui rejoint la question de la guérison.
Les notions de "normal" et de "pathologique" sont débattues depuis fort longtemps mais l'insistance ces 20 dernières années sur celle de "santé mentale" mériterait une controverse plus importante que ce qu'elle est actuellement.
On entend sans cesse opposée une psychologie dite "scientifique", notamment le cognitivo-comportementalisme, à la psychanalyse qui ne serait en rien scientifique et qui n'obtiendrait aucun résultat thérapeutique.
Cette opposition caricaturale a été largement dénoncée, et très récemment encore à propos des autismes, par le Centre d'Etudes et de Recherche sur l'Autisme (CERA) : https://causeautisme.files.wordpress.com/2022/07/position-psychanalytique-contre-ledogmatisme-appliquecc81-a-lautisme.pdf .
S'il est vrai que la psychanalyse n'a pas pour priorité la disparition des symptômes, on oublie souvent que dans le cas de difficultés psychologiques hors psychopathologie, quelques entretiens (éventuellement un seul) ont parfois un effet ressenti comme très positif par la personne qui consulte. Elle peut en rester là, si elle le souhaite.
Une psychanalyse engagée par un analysant n'a, elle, aucune durée a priori. Il s'agit d'une aventure existentielle, ou, pour reprendre une phrase de Sibony dans le livre cité un peu plus haut, d'"une relance des processus de vie, d'une ré-appropriation de son histoire, de ne plus y être enfermé..."
Il faudrait se rappeler les témoignages d'analysés parus dans les années 60 et 70, ceux par exemple de Françoise Giroud ou de Marie Cardinal. Cette dernière, dans Les mots pour le dire, a bien traduit à mon avis son analyse, articulant tout au long du livre ce qui l'y a conduit (notamment des pertes de sang et le risque de se retrouver en Hôpital psychiatrique), son histoire familiale, la guerre d'Algérie
Le livre de la psychosociologue Dominique Frischer, Les analysés parlent (1977), où avaient été interviewés une centaine d'analysants, avait eu l'intérêt de faire entendre des témoignages extrêmement divers. Evidemment le professeur belge Jacques Van Rillaer, qui, paraissant avoir un arriéré avec la psychanalyse, ne cesse de vouloir lui régler son compte, relève dans ce livre tout ce qui va dans le sens de ses critiques.
https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/220620/les-analyses-parlent-l-enquete-de-dominique-frischer
A l' accusation récurente selon laquelle la psychanalyse et les psychothérapies dite d'inspiration psychanalytique (selon une expression qu'un psychanalyste lacanien avait, il y a longtemps, porté un peu en dérision en parlant de psychothéapies "inspirées") ne seraient jamais évaluées, il a été parfois répondu qu'elles étaient évaluées, mais d'une autre façon que dans les sciences dite "dures", leur "objet" étant un sujet singulier. Toutefois, ces dernières années, le défi de leur évaluation a été relevé. Voir notamment à ce sujet l'article très documenté de 2021 du professeur Thomas Rabeyron dans L'Evolution psychatrique ( https://www.grecc.org/publications/dossiers-scientifiques/levaluation-et-lefficacite-des-psychotherapies-psychanalytiques-et-de-la-psychanalyse-thomas-rabeyron-2021/ ).
En psychiatrie et dans les lieux de soin pour enfants et adolescents, il faut insister sur le fait que ce n'est pas de "cure type", comme on disait il y a un certain emps, dont il s'agit. Les psys qui ont pour référence le corpus psychanalytique, lequel n'est pas monolithique, adaptent leur pratique aux structures psychopathologiques qu'ils rencontrent, et travaillent en interdisciplinarité.
Il est assez surprenant d'entendre encore aujourd'hui des accusations sur la psychanalyse, datant de 40 ans en arrière. Comme le précise le texte de " La Cause de l'autisme ", les aides rééducatives, les remédiations cognitives, le travail d'inclusion dans les écoles et les centres de loisir ou de sport, la participation des parents existent dans ces lieux appelés CMP, IME, SESSAD, hôpitaux de jour, etc Et ce depuis belle lurette.
Sur le plan institutionnel, les éclairages psychodynamiques permettent aux équipes, lorsque des psys peuvent les apporter (ce qui semble devenir difficile), de se décentrer par rapport aux symptômes et de prendre en considération l'histoire des "usagers" (selon le terme employé officiellement, mais très ambigu) et leur contexte de vie, de donner du sens, dans les deux acceptions de ce terme.
Le pédopsychiatre Pierre Delion avait bien résumé à mon avis les trois fonctions nécessaires à une institution de soin: la fonction phorique (soutien des personnes accueillies et des personnels), la fonction sémaphorique (échanger pour que ce qui se passe fasse signe), la fonction métaphorique (donner un sens, une signification. " Bon Dieu mais c'est bien sûr ", disait l'inspecteur Bourrel à la fin des 5 dernières minutes, selon l'image donnée par Delion).
Maurice Villard
Juillet 2022
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