René Kaës

 

C'est en 1966-67, dans le cadre de la préparation de ce qui s'appelait le Certificat d'Etudes Supérieures de Psychologie Générale, que j'ai suivi le cours de psychologie sociale de René Kaës. Processus de socialisation; apports des recherches sur les sociétés animales, de la psychologie différentielle, de l'anthropologie culturelle; notions de rôle et de statut; Mead, Moréno, Linton; interactions; représentations sociales; groupes restreints... Du classique, pourrait-on dire.
Après la Licence et le diplôme de conseiller d'orientation scolaire et profesionnelle, je retrouvai René Kaës en Maîtrise, comme maître de recherche, et à son séminaire sur la clinique des groupes restreints. C'est au cours de ce séminaire que, par la lecture qu'il fit d'un passage du "stade du miroir comme formateur de la fonction du je" et par les références à ses concepts, je commençai à découvrir l'oeuvre de Jacques Lacan.
Je lus cette année là l'ouvrage que R.Kaës publia en 1968 aux éditions Cujas; livre de plus de trois cent pages, issu de sa thèse de troisième cycle dirigée par Serge Moscovici:
"Images de la culture chez les ouvriers français".

Ce travail de recherche s'était étalé de 1958 à 1965 et avait déjà donné lieu à publications:
- "
La culture populaire en France" (en collaboration avec J.Charpentreau), Les éditions ouvrières, 1962;
- "Les ouvriers français et la culture", Dalloz, 1962;
- "Vivre dans les grands ensembles", Les éditions ouvrières, 1963 (avec une préface de P.H.Chombart de Lauwe);
- "Quelques attitudes ouvrières à l'égard de l'école et de l'enseignement", Institut du Travail de Strasbourg, 1964.

Enquêtes et recherches effectuées sous la direction du Professeur Marcel David à l'Institut du Travail de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Strasbourg.
Dans sa préface à "Images de la culture chez les ouvriers français", Marcel David soulignait que l'ouvrage de R.Kaës << relève bien plus de la psychologie sociale que de la sociologie >> dans la mesure où est soutenue l'idée que les représentations sociales << ne sont déterminées mécaniquement ni par les conceptions culturelles dominantes ni par les conditions économico-sociales qui au niveau de l'infrastructure président à leur élaboration.>>
En effet, R.Kaës, dans sa thèse, considère la représentation et comme produit culturel et comme activité du sujet, << produit d'une interaction psycho-sociale>>. Elle est ,écrivait-il, << le produit et le processus d'une activité de construction du réel par un appareil psychique humain. Cette construction du réel s'effectue à partir des informations que le sujet reçoit de ses sens, de celles qu'il a recueillies au cours de son histoire et qui demeurent dans sa mémoire, et de celles qui lui viennent des relations qu'il entretient avec autrui, individus et groupes.>>
Perspective
psychosociologique, en ces premiers travaux, mais où se manifeste nettement l'intérêt qu'il accordera ultérieurement au registre de l'intermédiaire: <<La représentation n'est pas reflet, mais médiation entre le sujet et son environnement, entre son passé et son devenir; elle n'est pas objet, mais relation, communication (processus et résultat).>>

Une dette y est reconnue à l'égard de Didier Anzieu <<car le maître conduit ses élèves vers leur propre désir.>>

Anzieu avait en effet écrit plusieurs études sur les petits groupes, les groupes de diagnostic, la projection et l'imaginaire dans les groupes; et ce texte important de 1966 dans "Les Temps Modernes": "Etude psychanalytique des groupes réels", dans lequel il considérait le groupe comme un équivalent du rêve (réalisation de désirs inconscients, rôle organisateur des fantasmes et imagos, mécanismes de déplacement et de condensation...).
René Kaës avait eu Anzieu comme professeur à Strabourg, dans la deuxième moitié des années cinquante, et c'est sous sa direction qu'il effectuera, après la thèse de troisième cycle, sa thèse de doctorat d'Etat sur l'approche psychanalytique des petits groupes.


Il ne cessera par la suite d'approfondir, en collaboration étroite avec Anzieu, ces recherches psychanalytiques sur les groupes.
Ils créeront (avec quelques autres) le CEFFRAP (Cercle d'Etudes Françaises pour la Formation et la Recherche Active en Psychologie, qui deviendra plus tard: Cercle d'Etudes Françaises, de Formation et de Recherche:approche psychanalytique du groupe, du psychodrame, de l'institution) , dirigeront aux éditions Dunod, à partir du début des années soixante et dix, la collection "Inconscient et culture".

En 1994, pour les 70 ans d'Anzieu, sort, à l'initiative de Kaës , "Les voies de la Psyché, hommage à Didier Anzieu" (extrait de cet ouvrage, on peut lire sur le site de "Carnet Psy", une conversation de R. Kaës avec Didier Anzieu).

Cette longue collabaration avec Anzieu s'effectua à la fois dans la confiance et la rivalité, dit-il dans le numéro spécial du Journal des Psychologues consacré à Anzieu (2002) et fut si étroite qu'<<il était souvent difficile de "démêler le tien du mien" dans ce que nous pensions et disions.>>

Après les concepts d'appareil psychique groupal (Ed.Dunod, 1976; réédition en 2000) et d'analyse inter-transférentielle (in:"Désir de former et formation du savoir", Ed.Dunod,1976), René Kaës introduit celui d'analyse transitionnelle.

Les membres d'un groupe ont une réalité psychique inconsciente partagée.
Et les formations inconscientes individuelles (image du corps, imago de la psyché, complexes familiaux, réseaux identificatoires, fantasmes originaires) ont quant à elles une structure groupale.
Toute crise met en question ces formations groupales du psychisme. << Alors, l'individu, qui vit d'être un "groupe" divisé de l'intérieur cherche dans le groupe réel l'image de son unité perdue et l'étayage nécessaire pour surmonter la détressse.>> ("Crise, rupture et dépassement", Ed.Dunod, 1979).
L'analyse transitionnelle doit établir les conditions permettant << l'élaboration du vécu de l'expérience de rupture entre deux états.>>

Pour fonder cette notion d'analyse transitionnelle - qu'Anzieu, dans le même ouvrage, reconnaît avoir eu quelque hésitation à admettre - René Kaës s'appuie sur les apports de Winnicott, de Bleger, d'Edgar Morin, de l'analyse systémique...
Notion qui m'aida personnellement dans ma pratique de psychologue clinicien en Institution (cf. "Psychothérapie en Institution").

Travail de René Kaës sur l'intermédiaire, le transitionnel, et donc sur les crises qui sont justement des moments de passage douloureux, des temps de rupture au cours desquels croyances, idéologies, représentations, sont fragilisées et ne peuvent plus conserver leur fonction de "conteneur".

Travail, par conséquent, sur la formation (in: "Fantasmes et formation", Ed.Dunod,1973; "Désir de former et formation du savoir", Ed.Dunod,1976), sur le concept de transmission psychique dans la pensée de Freud (in: "Transmission de la vie psychique entre générations", Ed.Dunod, 1993), sur la souffrance dans les institutions (in: "L'institution et les institutions", Ed.Dunod, 1988; "Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels",Ed.Dunod, 2000 ), sur la différence culturelle (in: "Différence culturelle et souffrances de l'identité", Ed.Dunod, 1998), sur le rêve ("Polyphonie du rêve", Dunod, 2002), sur les constructions idéologiques...

______

Le nombre de contributions de René Kaës dans différentes revues est considérable.
Voici ses livres et certains des ouvrages collectifs auxquels il a participé.
(dernière mise à jour en mars 2016)

 

 

Accueil
Autres auteurs