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Apprentissages

Bernard Douet
Evaluer et prendre en charge les troubles de la pensée chez l'enfant
Méthode de développement des contenants de pensée
Le Journal des psychologues (n°215, mars 2004)
Revue "Psychologie et Éducation", décembre 2001
Jacques Rousvoal, Antoine Zapata
Stella Baruk

Textes réunis par G. Blanchet, J.Raffier, R.Voyazopoulos

Intelligence, scolarité et réussite

Autismes et Psychoses
Importante bibliographie sur le site de Daniel CALIN

Josef Schovanec
Bertrand Jordan
Alexis Garino
J.C. Maleval et al.
Alain Rouby
Rosine et Robert Lefort
Carole Tardif, Bruno Gepner
Pierre Delion
Jean Bergès, Gabriel Balbo
Sous la direction de Pierre Delion
Laurent Danon-Boileau
Pierre Delion

Donna Williams

 Si on me touche, je n’existe plus 

Revue de Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence

L’autisme en changement

Sylvie Tordjman

 Le rôle du stress dans l’autisme : un modèle intégré clinico-biologique 

Divers
Ariane Blilheran, Vincent Pavan
Jean Burgos
Ariane Bilheran
Marc CROMMELINCK, Jean-Pierre LEBRUN
Arlette Pellé
Jean-Paul Sartre
Journal des psychologues (mars 2015)
Sous la direction de Vincent Estellon
Boris Cyrulnik
Revue Nos Ancêtres, Vie et Métiers, juillet-août 2014
David Nasio
Journal des psychologues (février 2013)
Maurice Corcos
Sous la direction de Albert Ciccone
Claude Allione
La part du rêve dans les institutions
Régulation, supervision, analyse des pratiques
Jean-Pierre Lebrun
Clinique de l'institution
Ce que peut la psychanalyse pour la vie collective
Daniel Sibony
L'enjeu d'exister
Analyse des thérapie
Cliniques méditerranéennes, n°75, érès 2007
Le Journal des psychologues
Cliniques méditerranéennes
Le Journal des psychologues, n°226, avril 2005
Le Journal des psychologues, n°222, novembre 2004
Philippe van Meerbeeck
Richard Rhodes
Philippe Dehaene
Jean-Claude Quentel
Frantz Fanon
André Gide
Paul Fustier
Franz Kafka
Jean-Claude Guillebaud

Enfance et adolescence

X.Canonge et J.L.Pedinielli
Olivier Houdé
Jean Bergès
Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence
Sandrine Le Sourn-Bissaoui, M.H. Plumet
D. Mellier
Bernard Golse
D. Marcelli

Jean Bergès, Gabriel Balbo

Jeu des places de la mère et de l’enfant. Essai sur le transitivisme

Jean-Jacques Rassial
Joël Gendreau

Psychanalyse

Stéphane Thibierge Le Nom, l'Image, l'Objet
Maurizio Balsamo Psychanalyse et subjectivité
(histoire, généalogie, psychose)
Gérard Pommier Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse
Jean-Claude Stoloff Les pathologies de l'identification
Simone Korff-Sausse D'Oedipe à Frankenstein. Figures du handicap
Julien Friedler  Psychanalyse et Neurosciences
                                                                                                                                       

à suivre...

 

Dyslexies

"Psychologie et Éducation", n°47, décembre 2001

Le 21 Mars 2001, le gouvernement a publié un "Plan d'action pour les enfants atteints d'un trouble spécifique du langage" .
Les auteurs participant à ce numéro spécial de "Psychologie et Éducation" se félicitent en général que soit enfin officiellement pris en compte un problème qui concerne au moins quatre à cinq pour cent des enfants, mais certains ( notamment Monique Plaza et Jacques Fijalkow ) s'interrogent sur la médicalisation des troubles de la lecture et leur assimilation à un handicap.
La commission interministérielle a choisi en effet de confier le dépistage aux médecins scolaires (!) alors que psychologues scolaires et enseignants apparaissent les plus à même de relever des indices prédicteurs fiables, d'après la recherche de l'Unité de Psychopathologie de l'Enfant et de l'Adolescent du Centre Hospitalier de Saint-Anne ( C.Meljac, M.Kugler, E.Lenoble ).

La tendance générale actuelle ( dans les médias en particulier, mais qui ne font que reprendre les positions dominantes du courant de recherche des sciences cognitives ) est en faveur de l'approche fonctionnaliste et neuropsychologique.
Approche qui est soutenue dans ce numéro par le Dr. Messerschmitt, lequel énumère également les troubles associés à la dyslexie, l'instabilité psychomotrice et la souffrance "névrotique" paraissant les plus fréquents.
Dans la perspective fonctionnaliste, et plus précisément -concernant l'apprentissage de la lecture- selon l'hypothèse phonologique, << les enfants dyslexiques présenteraient des dysfonctionnements et/ou des anomalies morphologiques cérébrales, qui ne leur permettraient pas d'utiliser de façon efficiente le module phonologique indispensable à l'acquisition et au développement de la lecture >> (M.Plaza, p.82 ).

Or, souligne Monique Plaza,d'une part ces théories ne rendent pas compte de la complexité de l'apprentissage du langage écrit et d'autre part elles ont tendance à omettre qu'une activité cérébrale inhabituelle peut n'être que le corrélat (et non la cause) d'une stratégie cognitive déviante.
Se centrer sur les mécanismes élémentaires infléchit les prises en charge vers l'instrumental.

Jacques Fijalkow rappelle que la majorité des mauvais lecteurs sont de milieux socialement défavorisés et ajoute qu'en privilégiant les déterminants médicaux, qui ne concerne qu'une faible partie de la population des étiquetés "dyslexiques", le plan d'action gouvernemental risque de concentrer << un maximum de moyens sur un minimum d'enfants...des classes moyennes...en se désintéressant de ceux qui sont déjà défavorisés par leur naissance.>>

Monique Plaza ( chargée de recherche au CNRS ) mentionne une enquête de dépistage qu'elle a menée et qui tend à montrer que si les conditions socio-culturelles et les méthodes pédagogiques ne sont pas des "causes" de dyslexie, elles sont cependant des éléments qui peuvent contribuer au "mauvais départ" dans la lecture.

Ce "mauvais départ", explique Gérard Chauveau ( chargé de recherche CRESA/INRP ), ne se fait pas au Cours Préparatoire mais bien avant et dès l'âge de trois ans environ, moment où << les enfants commencent à mettre en place des comportements et des pratiques de "lecteur" et de "scripteur".>>
Sa Batterie d'Évaluation Initiale de la Lecture-Ecriture ( la BEILE ) lui permet d'avancer que les futurs mauvais lecteurs sont en difficulté, avant six ans, dans les trois composantes essentielles de l'apprentissage de la lecture:

la composante culturelle ( pratiques et finalités de l'écrit ); la composante linguistique ( principe alphabétique de notre écriture ); et la composante stratégique ( opérations en jeu dans l'acte de lire ).
L'activité de lecture est en effet, ajoute le Dr. Jean-Michel Pedespan, le résultat d'interactions entre un individu, des signes et le monde environnant.

Après avoir rappelé que les troubles du langage oral ( retard de langage et surtout dysphasies de développement ) précèdent dans une grande majorité de cas les troubles du langage écrit, le Dr. Catherine Billard ( Unité de rééducation neuropédiatrique de l'Hôpital Bicêtre ) expose les trois stades de l'acquisition de la lecture selon le modèle de Frith:
1) le stade logographique: reconnaissance de mots;
2) le stade alphabétique: segmentation des mots en ses différentes unités;
3) le stade orthographique: identification des mots par la voie lexicale, ou adressage ( identification rapide des mots connus ) et par la voie analytique, ou par assemblage, quand le mot n'est pas connu.
Les dyslexie phonologiques concernent le stade alphabétique; les dyslexies de surface se caractérisent par des difficultés d'accès à la voie d'adressage; les dyslexie visuo-attentionnelles sont associées à une insuffisance des prises d'indices visuels. La pédagogie et la rééducation varieront, dit Billard, en fonction du type de dyslexie.

Claire Meljac, Marie Kugler et Évelyne Lenoble résument quant à elles les recherches de l'Hôpital Sainte-Anne sur les dyslexies spécifiques ( c'est-à-dire non secondaires à une pathologie telle par exemple qu'un retard mental, une surdité ou des troubles psychopathologiques...).
Chez les filles comme chez les garçons << l'espace et les relations infralogiques, au sens de Piaget, ne sont pas directement en cause>>, mais on relève << la fréquence de situations conjugales complexes et d'incidents traumatiques ( séparations, décès, ruptures ) au moment des premiers apprentissages.>>
Les enfants non lecteurs ont tendance à donner à chaque lettre << le nom et la place qu'elle a, ici et maintenant, dans ce mot-ci...[ et à rester ] fixés dans un co-texte visuel qui ne devient jamais un contexte intellectualisable.>> ( Pour un compte-rendu détaillé de ces recherches, voir: "Les échecs en lecture respectent-ils la parité?", in "Revue de Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence", Vol.48, n°7, de novembre 2000; et Vol.49, n°1, de février 2001 ).

Ce numéro a le grand mérite de souligner que les troubles du langage écrit n'ont pas d'explication univoque et se voudrait, selon les termes de Michel Monville dans son introduction, << un tremplin pour d'autres contributions émanant notamment des collègues sollicités et impliqués à l'École par ce sujet.>>

Concernant la dyslexie et définitions d'autres termes en "dys...", voir site de J.Nimier:
http://perso.wanadoo.fr/jacques.nimier/page90.htm

A consulter également:"Du bon usage de la <<dyslexie>>", de Daniel Calin;
le texte de Guy Trigalot (sur le site de D.Calin)

et le << commentaire, pas à pas, du rapport Ringard >> sur la dyslexie, par André Inizan

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Jacques Rousvoal, Antoine Zapata

La question de l'échec scolaire. Évolution des idées.

"Psychologie et Éducation", n°46, septembre 2001

Après avoir rappelé que les deux tiers d'une génération n'accédaient pas en classe de sixième au début des années cinquante alors qu'actuellement la quasi totalité des enfants du primaire entrent au collège, les auteurs exposent les trois grands types de théories explicatives de l'échec et de l'inadaptation scolaires:

  • les théories qui situent l'origine de l'échec dans l'individu ( qu'il s'agisse de facteurs organiques ou psychogénétiques );
  • celles qui mettent en avant le "handicap socio-culturel" ( sociogenèse, analyse socio-linguistique, sociologie de la reproduction );
  • enfin le courant interactionniste et systémique, qui a leurs faveurs.

Ils insistent sur la séparation qu'il convient de faire entre d'une part l'inadaptation ou le handicap qui concernent la totalité de l'individu en société, et d'autre part la difficulté d'apprentissage dans le champ scolaire.
Ils soulignent combien la responsabilité de l'échec est la plupart du temps renvoyée à l'enfant ou à sa famille alors que l'implication de l'école et de la relation maître-élève doit être aussi prise en considération; références étant faites aux études sur l'usage de l'espace (la proxémie), sur les conditions physiques et physiologiques (l'ergonomie), sur les rythmes biologiques (la chronobiologie); ainsi qu'aux études sur les perceptions et a-priori des enseignants par rapport aux élèves (et réciproquement), sur les interférences entre stratégies de l'enseignant et stratégies de l'élève...

Il faut, disent les auteurs, "revisiter" et la notion d'intelligence comme facteur principal de la réussite ou de l'échec, et la vision univoque des causes de l'échec scolaire, pour passer à l'exercice d'une pensée complexe.

Rousvoal et Zapata considèrent que la notion d'échec scolaire repose sur l'idéologie de l'égalité des chances, ce qui leur fait poser trois questions:
"Est-il vraiment possible d'égaliser les chances? Est-il utile que l'école les égalise? En a-t-elle seule le pouvoir?"

( Jacques Rousvoal est Professeur et Directeur du Centre Universitaire de Formation des Enseignants et Formateurs, à l'Université de Haute Alsace-Mulhouse; Antoine Zapata est Maître de conférences. )

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Stella Baruk

Echec et Maths

( Ed. du Seuil , 1973 )

Ecrit avec talent et humour, ce livre inaugurait une série d'ouvrages que S.Baruk a consacré à l'enseignement des mathématiques : " Fabrice ou l'école des mathématiques ", " L'âge du capitaine ", " Dictionnaire de mathématiques élémentaires ", " C'est-à-dire ", " Comptes pour petits et grands ", " Double jeux " (collectif).
Elle y développait l'idée centrale, qu'elle maintiendra ultérieurement, que les mathématiques sont essentiellement fondées sur la langue et le sens.
Elle y mettait en question les enseignants, les pédagogues et les psychologues, dans leur recherches et leur pratique.
Dans une période où les théories piagétiennes avaient un poids considérable, elle critiquait ces méthodes pédagogiques dites " modernes " qui, à centrer l'enfant sur le " voir " et le " faire ", le détournait de l' " entendre ".

L'enfant, disait Dienes, apprend par l'expérience, en manipulant les objets, et il faut l'inciter à faire, défaire, refaire, pour qu'il découvre la notion, et ne juxtaposer le mot qu'ensuite. Et ce sont exercices de jetons, de réglettes, de mises en tas et de mises ensemble de ce qui est pareil ou pas pareil.
Piaget ne disait-il pas que la logique est déjà dans le sensori-moteur, que " les racines de la logique sont à chercher dans la coordination générale des actions (conduites verbales y comprises) à partir de ce niveau sensori-moteur dont les schèmes semblent être d'importance fondamentale dès les débuts… " ( Piaget et Inhelder : La psychologie de l'enfant ).
D'où une pédagogie de la pratique, du concret, de l'expérience, absurde et ridicule, dit S.Baruk, car en mathématiques comme ailleurs il faut d'abord définir pour pouvoir ensuite s'y retrouver : " Les parallèles existent après, non pas avant le postulat d'Euclide ";" un classement est impossible si la désignation de critères permettant de l'effectuer n'a pas d'existence ".
Le sens ne vient pas tout seul, il est l'effet d'une structure ( de la langue, des mathématiques…). Les notions mathématiques ne sont pas là de toute éternité : 8000 noms d'inventeurs qu'on passe sous silence.
Au lieu, ajoutait-elle, de distribuer des recettes, d'administrer des interdits, de ponctuer les copies de railleries, il faudrait cheminer avec l'enfant dans ses contradictions apparentes, essayer de comprendre sa propre logique : "jamais l'interdit n'a de sens qu'il n'ait été transgressé ".

S.Baruk condamnait dans cet ouvrage l'engrenage qui allait de l'échec en mathématiques aux tests et au diagnostic, et de ce dernier à la rééducation où ceux qui n'ont pas la bosse des maths manipuleront des choses alors que " ni la pâte à modeler, ni les jetons, ni les récipients ne sont des objets mathématiques, donc se prêtant à une réflexion logique ".

Les spécialistes de l'enseignement ou de la rééducation des mathématiques pourront dire si ces critiques d'il y a bientôt trente ans sont encore ou non d'actualité, après les mises en questions des théories piagétiennes sur le primat de l'action ( citons entre autres celles de P.Oléron et de R.Lécuyer ) et les travaux sur ce qu'on appelle aujourd'hui la " remédiation cognitive "…Que les mathématiques soient d'abord un travail sur la langue et le sens ne me semble pas encore toutefois une approche des plus répandues.

Sur "Imaginaire et mathématiques", voir site de J.Nimier:
http://perso.wanadoo.fr/jacques.nimier/mathematique.htm

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Intelligence, scolarité et réussite

Textes réunis par G. Blanchet, J.Raffier, R.Voyazopoulos

Editions La pensée sauvage, 1995

 

Préfacé par Gaston Mialaret, ce livre réunit quinze communications présentées au congrès de l’Association Française des Psychologues scolaires en octobre 1993. Leur diversité ne permettant guère d’en faire une synthèse, je soulignerai seulement quelques points forts.

Concernant la question de l’hérédité de l’intelligence, Pierre Roubertoux dénonce la confusion entretenue par certains ( on pourrait penser aux thèses de Herrnestein et Murray dans « La courbe en cloche » ) entre hérédité et héritabilité. Cette dernière ( caractéristique d’un trait dans une population donnée ) dépend, pour l’intelligence, et de la structure génétique de cette population et de son histoire sociale.
Le QI, ajoute-t-il, n’est pas un phénotype mais le résultat d’épreuves hétérogènes : « ceux qui font la génétique du QI font la génétique de la soupe ».

Du point de vue sociologique, Eric Plaisance rappelle quelques grandes enquêtes qui ont mis en relief « la co-variation du quotient intellectuel et de la hiérarchie sociale », ainsi que le passage d’une idéologie du don et des aptitudes naturelles à une idéologie du handicap socio-culturel, laquelle fut parfois aussi fixiste que la précédente. Il remarque que les recherches récentes sur l’échec et la réussite scolaires se centrent sur « des niveaux de réalité plus localisés, insistant sur la place qu’y occupent les acteurs sociaux et leurs logiques propres ».

En analysant les catégories d’erreurs ( M.Fayol ), les stratégies cognitives et les blocages dans la résolution de problèmes ( J.F.Richard, M.Zamani ), le contexte social d’acquisition et de production scolaires ( J.M.Monteil ), les différences de cheminement dans les apprentissages – du langage et de la lecture, par exemple – (J.Lautrey), les travaux de psychologie cognitive invitent à prendre en compte l’histoire personnelle du sujet qui apprend, sa perception de l’objet à traiter, les processus mentaux qu’il utilise, car la plupart du temps, comme le disent Richard et Zamani, « les comportements des sujets sont cohérents, même quand ils apparaissent chaotiques ».

C’est ce qu’affirme depuis longtemps Stella Baruk qui repose ici encore « la question du sens en mathématiques ». Construire du sens, rendre intelligible, à partir de la parole et de la langue, est-ce dissociable de ce que l’on appelle intelligence humaine ?

« Intelligere », précise Daniel Sibony, c’est «  interligere » : « lire entre » ou « lier entre ». L’intelligence implique de pouvoir intégrer l’autre, l’interlocuteur, « l’Autre lieu : là où il faut aller, mentalement, pour voir d’un point de vue excentré le lieu où l’on était ». Travail de liaison et de dé-liaison.

 Si ce travail a souvent du mal à se faire, comme l’atteste la persistance des échecs scolaires, est-ce, comme le pense Roger Perron, parce que l’enfant est parlé, oublié dans sa subjectivité, la difficulté scolaire devenant alors « modulation de la personne même », résistant à ce qui l’attaque, voire s’en renforçant ?

De la lecture de cet ouvrage, en tout cas, on retirera l’idée qu’entre intelligences, scolarité et réussites les rapports ne sont pas simples.

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Pierre Delion

Processus cognitifs et psychoses infantiles

Revue de "Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence". Mars 2002, Vol.50, n°2

 

Le bébé apprend en faisant des liens entre les évènements qui se succèdent, en associant des représentations, mais en s'appuyant sur la pensée d'autrui.
Il extrait ainsi progressivement des invariants qui sont mémorisés <<en même temps que les parfums émotionnels qui les ont accompagnés>>.
Si la "quantité de pareil" entre la nouvelle perception et celles déjà engrammées est grande, elle s'ajoute sans difficulté. Si par contre le "pas pareil" domine, la nouvelle expérience peut être intéressante et servir de moteur à la recherche de compréhension (peut-être vaudrait-il mieux dire qu'elle favorise alors l'exploration et une recherche de mise en relation avec le familier). Mais si l'angoisse du "pas pareil" est trop forte, la liaison de la nouvelle expérience aux précédentes est entravée, cette nouvelle expérience devenant alors ce que Bion avait appelé "élément bêta". Ces éléments bêta étant susceptibles, dit Delion, de servir de "projectiles psychiques" à la future identification projective.

Le processus psychotisant empêche de lier ou délie les représentations, les moyens corporels restant alors la solution pour garder contact avec l'objet (celui-ci n'ayant pu être intériorisé, mentalisé, n'ayant pu devenir objet interne stable).
Le nouveau-né présente, on le sait, le "grasping reflex", le réflexe d'aggrippement qui, par la suite, disparaît pour laisser place à la préhension volontaire, à l'introduction de la troisième dimension.
Si le bébé continue de fonctionner en "mode grasping", la "psychisation" de l'objet ne sera pas possible. Et, inversement, s'il ne peut "psychiser", il lui faut garder le contact réel avec l'objet. Or, l'irruption des angoisses archaïques entrave la "psychisation".
Dans l'autisme, le contact est maximal: l'objet autistique doit être en permanence présent.
Dans la psychose symbiotique, l'objet maternel est difficilement représentable (et son éloignement s'accompagne d'angoisse).
Dans les psychoses, à défaut de "refoulement originaire", les mécanismes de l'identification projective sont utilisés. Ce qui dans la pensée est indésirable est expulsé, projeté au dehors (et, rappelons le, revient sous forme d'objets persécuteurs). Delion donne l'exemple des lettres de l'alphabet qui peuvent être ainsi l'objet de projections terrifiantes.

La déficience mentale ou les difficultés cognitives qui accompagnent souvent la psychose infantile résultent, selon l'auteur, de l'impact des angoisses archaïques et de l'épuisement de l'énergie psychique utilisée pour les combattre.

Ce modèle global étant posé, Pierre Delion résume les principales stratégies thérapeutiques à mettre en place:
constitution d'ateliers thérapeutiques où les enfants puissent mettre en scène leurs angoisses archaïques, en prenant soin de bien différencier le thérapeutique du pédagogique. Il s'agit, au sein de ces ateliers thérapeutiques, d'aider l'enfant à retrouver le chemin des sublimations et d'autres moyens de défense que ceux qu'il avait mis en place et qui avaient gelé sa pensée. Et il s'agit, dans les ateliers pédagogiques, de lui offrir la possibilité d'accéder aux acquisitions.

Mais, si ces espaces doivent être séparés, thérapeutes et pédagogues doivent par contre échanger afin que l'enfant sente << une continuité d'être tout en expérimentant une discontinuité des espaces d'accueil >>.
Référence est faite ici à la pédagogie institutionelle, aux travaux de Freinet, Montessori, Makarenko...qui semblent maintenant un peu oubliés.

Les parents doivent être étroitement associés et des réunions de familles, voire de fratries, peuvent les aider à mieux affronter les difficultés de leurs enfants.

Concernant les positions de Pierre Delion sur la psychose, on peut également lire mes notes de lectures:

Séminaire sur l'autisme et la psychose infantile et Corps, psychose et institution

(haut de page)

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Pierre Delion

Séminaire sur l'autisme et la psychose infantile

( Ed. Erès, 1997 )


C'est d'abord à l'enseignement de François Tosquelles que P.Delion rend hommage et je soulignerai, concernant ce chapitre, sa critique de la sur-spécialisation en psychiatrie car elle fait écho pour les psychologues qui, depuis dix à quinze ans, voient se multiplier les DESS ( Diplômes d'Etudes Supérieures Spécialisées ).

Concernant la question de la psychose, Delion nourrit sa réflexion de multiples références théoriques ( Winnicott, Bowlby, Szondi, Schotte, Schilder, Bick, Segal, M.Klein, Lacan, Dolto, Houzel et d'autres ) et distingue fondamentalement dans la structuration de l'enfant " objet d'arrière-plan " et " objets partiels ".

Du côté de l'objet d'arrière-plan, se situerait notamment le rythme (autrement dit les appuis auditifs et vibratoires) et le contact, le fait pour le bébé d'être porté, soutenu, contenu.
Le visuel, et la main qui prolonge le regard, seraient quant à eux du côté des objets partiels.
La fonction contenante, ou fonction phorique, est intransitive, car le bébé est porté mais ne porte pas, alors que l'interpénétration des regards est la première relation transitive ( chacun regarde l'autre ) qui s'effectue dans un bain de langage.

Cette distinction permet à Delion de faire l'hypothèse de deux types de forclusion précoce :

  • La forclusion de l'objet d'arrière-plan s'accompagnerait d'une hypertonie compensatrice, de la création par l'enfant d'une " seconde peau musculaire " ayant une fonction d'auto-contenance.
  • La forclusion de l'interpénétration des regards aboutirait, elle, aux syndromes persécutifs.

Il s'agirait là de deux forclusions archaïques qui porteraient sur un lien symbolique primaire, sur un signifiant primordial, c'est-à-dire sur l'inscription d'une opposition distinctive entre des sensations articulées par le langage parental.
Résumer ce dont il s'agit n'est pas facile et le lecteur de ces notes peut se reporter à celles, complémentaires, sur le transitivisme. Je vais toutefois essayer ( en m'éloignant de la lettre de ce que dit Delion, sans être assuré d'ailleurs d'en respecter l'esprit ) de donner ma compréhension de cette question .

Dans l'ensemble de l'existant, du Monde, de ce qui l'entoure ou l'habite, l'enfant ( grâce à la parole de l'adulte, au langage, au sens que cet adulte donne aux évènements et aux sensations que cet enfant éprouve ) découpe une partie qui prend signification, qui est symbolisée. Il effectue une opération d'affirmation d' " ex-istence ".
Si certains éléments essentiels à ce qui fait l'humain ( comme notamment l'interdit de l'inceste ) ne sont pas "affirmés", intégrés symboliquement, ils sont " forclos " et de cette forclusion de signifiants princeps résulterait, selon Lacan, la psychose.

Si la symbolisation établit une coupure, une séparation, voire une perte radicale ( cf. la formule célèbre : " le mot est la mort de la chose "), elle établit en même temps un lien, mais symbolique, précisément.
Parler de forclusion de la fonction phorique devrait impliquer que cette fonction puisse être envisagée comme symboligène ( pour reprendre l'expression de Dolto ), comme productrice de sens. Pour cela, il faudrait à mon sens considérer que celui qui " porte " le nourrisson introduit chez ce dernier une " opposition distinctive ", donc signifiante, entre d'une part les moments de tension et de malaise et d'autre part les moments d'apaisement et de sécurité apportés par le toucher, la voix, la présence de l'adulte qui vient le consoler ( fonction de contenance et de pare-excitation ).
A ce stade, le regard lui-même me semble participer de la fonction phorique. L'expérience du visage impassible montre assez que le nourrisson qui ne rencontre plus qu'un regard absent cherche à accrocher son propre regard ailleurs, à quelque chose de brillant notamment.
La fonction phorique permettrait une progressive liaison des diverses sensations et des différentes régions corporelles. Sa " forclusion " s'accompagnerait en conséquence de vécus de démantèlement, de chute, d'absence de limites corporelles…

Pour ce qui est de la forclusion du regard, je me demande si elle ne concernerait pas (plutôt que "l'interpénétration" ) la relation tierce qu'il introduit quand celui de l'adulte fait un va-et-vient entre l'enfant et un objet tiers, ainsi désigné du regard ; comportement qui amène le nourrisson vers ce qui a été appelé " attention focale partagée " et qui anticipe le futur comportement du " pointer du doigt ".
En l'absence de cet " ailleurs ", le regard deviendrait intrusif, persécutif et mortifère.

Après cette courte réflexion, revenons aux propos de Delion sur le travail institutionnel avec les enfants autistes et psychotiques.
Ce travail, précise-t-il, doit consister à établir ce qu'il appelle " une suite métonymique institutionnelle ", c'est-à-dire une suite d'espaces/temps (par exemple : temps d'accueil, pataugeoire, atelier contes, etc…) reliés entre eux par contiguïté, liaison dont va résulter un effet de sens et qui va tenir lieu de métaphore. "On ne pourrait pas en enlever un, dit-il, sans que l'ensemble de la structure soit modifié." Les ruptures de la chaîne métonymique institutionnelle fonctionneront comme des forclusions.
Mais cette chaîne n'est pas à elle seule suffisante pour faire sens. Il faut aussi du " lacunaire " (Hochmann), du manque : d'une part un espace où l'enfant puisse être amené à choisir, et d'autre part un espace où le personnel va pouvoir parler de ce qu'il a perçu et ressenti, où va s'effectuer une mise en perspective par l'échange des observations et des contre-transferts; travail de perlaboration qui se situe entre fonctions phorique et métaphorique et que Delion appelle, après Michel Balat, " fonction sémaphorique " puisqu'il s'agit d'un temps et d'un lieu où ça fait signe avant de faire sens.

Le sujet psychotique établissant une constellation transférentielle par rapport à des objets partiels, il y a nécessité, dit Delion, de " travailler en équipe les différents aspects de la relation du patient avec les membres de l'équipe… "

L'ouvrage de Delion est particulièrement intéressant pour les essais d'articulations entre diverses approches, la distinction des deux types de forclusion archaïque, la notion de fonction sémaphorique.
La différenciation autisme / psychose m'a paru, quant à elle, n'apparaître qu'en filigrane.

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Donna Williams  

 Si on me touche, je n’existe plus 

Editions Robert Laffont, Paris, 1992

 

Dans le dernier chapitre de ce livre, avant l’épilogue, D.Williams semble adhérer, mais avec quelques conditionnels toutefois, à l’idée que l’autisme est le résultat d’une hypersensibilité affective et d’une possible incapacité (d’origine organique) de percevoir les messages qui impliquent la relation mère-enfant. Mais elle ajoute, sans éluder le paradoxe de sa formulation, que c’est l’indifférence et l’aversion de sa mère à son égard qui lui ont permis de développer son intelligence et sa capacité de communiquer. Du Bettelheim à l’envers, en quelque sorte.

Ce qui m’a particulièrement frappé dans ce témoignage (qui, comme tout témoignage, est une reconstruction) c’est qu’il exprime dans sa totalité la mise en place d’un système défensif contre un entourage vécu comme dangereux, mais qu’en marge (dans le dernier chapitre et dans les commentaires des photos d’elle-même enfant) D.Williams prenne alors une sorte de position « médicale » sur l’autisme.

Elle précise cependant que « l’étiquette  en soi est inutile » mais qu’elle l’aidait à se déculpabiliser et à ne pas mettre la responsabilité de son état sur le dos de sa famille.

Ses propos à l’égard de sa mère sont pourtant extrêmement sévères : « aussi dure que j’étais douce… » ; « Tu as été ma poupée et j’étais en droit de la casser, me répétait-elle continuellement » ; « elle m’appela désormais Marion, du nom de sa sœur, et, comme si cela pouvait mieux aiguiser sa haine, elle déforma ce dernier surnom en Maggots, ce qui signifie asticot ».

Elle décrit un épisode, à l’âge de trois ans, où sa mère lui aurait introduit de force dans la bouche un torchon et sa sensation d’étouffement au moment où elle s’était mise à vomir dessus.

Que cette mère ait été ou non telle qu’elle le dit n’est certes pas sans importance mais ne peut être bien entendu retenu comme la clef de sa symptomatologie, sauf à prendre le risque d’une abusive simplification.

Ce qui par contre me semble essentiel est le fait que tout son récit soit la description d’un monde qu’elle se construit pour se protéger.

Il lui faut repousser les contacts physiques et les marques de gentillesse ou d’affection qu’elle perçoit comme intrusions. Ces contacts sont un risque de perdre toute différence avec autrui. Elle se regarde durant des heures dans la glace en chuchotant son nom, n’enlève jamais son manteau, devient agoraphobe…Sa hantise était de perdre le sentiment de sa propre existence, le contrôle d’elle-même… Regarder dans les yeux était trop éprouvant…

On soulignera qu’il n’y a pour elle « personne nulle part » (titre original de l’ouvrage) et que les rêves décrits après la mort de son grand-père traduisent particulièrement ce sentiment de solitude et celui d’engloutissement. Dans un paysage dénudé, l’océan vient la submerger. Entourée d’un grand mur, elle essaie de suivre son grand-père qui la quitte mais elle appelle en vain et sa mère veut la maintenir à l’intérieur. Ce départ d’une figure paternelle est ressenti comme catastrophique.

Dans l’épilogue, D.Williams donne sens à ses comportements autistiques et le clinicien pourra comparer à ce que psychanalystes ou phénoménologues ont avancé : les stéréotypies comme procurant un sentiment de continuité; le balancement d’un pied sur l’autre d’avant en arrière pour ne pas tomber dans le trou noir; s’hypnotiser sur des objets brillants afin de se calmer; éteindre et allumer la lumière pour rendre les choses prévisibles et rassurantes; se blesser soi-même pour vérifier si quelqu’un est bien réel…

Donna Williams écrivant son livre et parlant de son autisme est-elle cependant encore autiste ?

Et de quel autisme fut-elle affectée ? Ce vécu autistique raconté, parlé, transmis, signifié, peut-on l’identifier à celui de l’autiste sans langage et qui apparaît hors symbolique ?

J’aurais pour ma part tendance à penser qu’il y a entre les deux un monde, ou plutôt « du monde », c'est-à-dire de l'Autre, ce qui rend très problématique le qualificatif.

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L’autisme en changement

Revue de Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, septembre 2000, Vol.48, n°6

(Editions Elsevier)

 

Ce qui change, dit J.Hochmann, ce sont les mentalités,  notamment celles des parents et des professionnels, dans le sens d’une meilleure compréhension réciproque.

 Je crains toutefois pour ma part, à entendre les raccourcis et les amalgames que font les grands médias, que le public ne se fasse de l’autisme une représentation simpliste. C’est pourquoi je cite ce numéro de la revue de Neuropsychiatrie, qui inciterait à parler, comme depuis longtemps je le pense, d’autismes au pluriel car, comme le précise Hochmann, on s’oriente actuellement vers la « notion de voie finale commune ou de   mode de réaction global ayant, une fois constitué, sa propre dynamique processuelle mais relevant d’étiologies complexes, multiples et interactives. »

Dans la perspective précisément de prendre en compte la complexité des causes, la diversité des structures et de suspendre le préjugé évolutif, A.Carel propose l’expression « évitement relationnel du nourrisson » pour qualifier un ensemble symptomatique que certains auraient tôt fait d’appeler autisme ou pré-autisme alors qu’il peut évoluer vers des structures psychiques extrêmement diverses.
L’évitement relationnel du bébé risque certes de s’auto-amplifier , de s’accompagner de fixations sensorielles et sensori-motrices qui accroissent, dans un processus interactif, la dysharmonie et la souffrance du lien intersubjectif.
Une évolution en spirale peut se produire où se succèdent : répression affective du côté parent comme du côté enfant, désynchronisation des micro-rythmes, attitudes paradoxales en simultané (comme par exemple mouvement d’approche accompagné d’une fuite du regard ou d’un visage impassible). Spirale pouvant aboutir à une structuration pathologique dont l’autisme n’est que l’une des occurrences et pas la plus fréquente.
A cet article est joint une grille d’Evaluation Relationnelle du Nourrisson ( GERN ).

Dans ce même numéro :

M. Botbol et H. Delorme font une synthèse des plans régionaux sur l’autisme.

R.Misès apporte des précisions nosographiques sur sa notion de dysharmonie psychotique et les frontières entre celle-ci et d’autres psychopathologies.

J.Constant expose l’utilisation à Chartres, en hôpital de jour, de l’approche « comportementale » Teach en association avec une compréhension psychodynamique de cette pratique.

R. Pry et A. Guillain, à partir d’une étude de 193 enfants autistes de moins de sept ans, ont différencié trois groupes très contrastés quant aux scores développementaux et aux fonctionnements psychologiques.

D. Houzel présente les perspectives anglaises de psychothérapie psychanalytique de l’autisme infantile ainsi que la sienne propre, après avoir souligné « l’erreur étiologique » ( de Bettelheim et d’autres ) qui fut « le fait d’ériger en étiologie ce qui n’est que données d’observation ». La psychanalyse, ajoute-t-il, « ne nous renseigne pas sur les causes des syndromes psychopathologiques, elle nous indique le sens latent qu’ils peuvent avoir. »

B. Golse, G. Haag, A. Bullinger, établissent quelques convergences entre approches cognitive et psychanalytique.

Enfin G. Haag rappelle les apports post-Kleiniens et ses propres travaux.

Au total un numéro qui, comme d’autres articles de la même revue consacrés aux problèmes des autismes, essaie d’en présenter la complexité et d’établir des ponts entre des perspectives qui souvent s’opposent.

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Sylvie Tordjman 

« Le rôle du stress dans l’autisme : un modèle intégré clinico-biologique »

Revue « Mouv Ance » n° 40, décembre 1995.

A.N.C.E. 145 Boulevard de Magenta - 75010 – Paris

 

Voilà un article assez court qui avait à mon sens le mérite de tenter d’articuler certaines données biologiques dans l’autisme - comme la corrélation entre la sévérité des troubles et les taux élevés des hormones de stress, ou certaines anomalies des fonctions cérébelleuses – avec les constats cliniques (angoisses primitives, de chute et de perte d’équilibre notamment ; comportements autistiques : stéréotypies, automutilations…).

Tordjman proposait là un modèle interactif, sans causalité linéaire, où des causes multifactorielles ( organiques ou/et déprivation sensorielle ou/et troubles précoces des interactions sociales ) pourraient provoquer un dysfonctionnement dans le traitement des signaux environnementaux et générer, en conséquence, des angoisses primitives portant sur les représentations spatiales et l’image du corps. Angoisses que les diverses conduites autistiques auraient pour fonction d’essayer de réduire mais qui, en même temps, renforceraient le dysfonctionnement  ( par saturation d’un canal sensoriel, par exemple ), aboutissant à un système auto-entretenu.

L’auteur soulignait deux points qui me semblent fondamentaux.

D’abord l’importance des interactions visuelles dans les premières relations adulte-nourrisson et l’impact de leurs perturbations, faisant part à ce propos d’un taux élevé de syndrome autistique retrouvé dans les cécités congénitales.

La difficulté, ensuite, d’interpréter les résultats neuro-biologiques. Par exemple, les anomalies cérébelleuses, qui sont d’ailleurs susceptibles de se modifier au cours du développement, sont-elles cause ou résultante de facteurs environnementaux ou/et biologiques ?

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Paul Fustier

Le travail d'équipe en institution
( Clinique de l'institution médico-sociale et psychiatrique)

( Dunod, 1999 )

 

Le sous-titre me semble mieux correspondre au contenu de l'ouvrage que le titre lui-même, à moins d'entendre dans "travail d'équipe" ce qui travaille une équipe à son insu, ce qui la dynamise, la met en crise ou la sclérose.

Le concept maître, en l'occurence, est sans doute celui d'"organisateur psychique inconscient" que l'on doit à D.Anzieu et R.Kaës. Il s'agit d'une formation inconsciente ( imago ou fantasme ), commune à la majorité des membres, qui organise le travail institutionnel.

Dans le mythe originaire de la fondation de nombreuses institutions, c'est "l'organisateur maternel archaïque" qui agit. L'institution se veut totale, entièrement bonne pour le résident par rapport à un extérieur ou un passé supposé mauvais pour lui. Elle se doit de combler les manques, projette un idéal de mère dévouée qui sait ce qui est bon pour l'enfant.

L'infantilisation non seulement de l'"usager" (même si celui-ci est un adulte) mais aussi des parents est un mécanisme courant.
En ce qui concerne le premier, la pathologie psychique grave et le handicap mental convoquent la figure du non-humain, du monstre. Cette "défaillance de l'idée du moi", selon l'expression de Fustier, cette difficulté à trouver l'humain chez l'autre, peut devenir l'organisateur inconscient; l'hominisation étant alors la plupart du temps le moteur institutionnel. Mais considérer cet autre à humaniser, à socialiser, comme un enfant le maintient toutefois à distance et préserve le professionnel.
En ce qui concerne les parents, Fustier souligne la fréquence de deux types de discours dans les réunions: 1) les parents sont dits absents, ne s'intéressant pas à leurs enfants; 2) ils critiquent ce qui se fait dans l'établissement.
La deuxième perception, celle de parents critiques, induisant dans l'équipe un sentiment agressif, ce sentiment se retourne en "considération positive": ces parents sont eux-mêmes inadaptés, en souffrance, comme leurs enfants.
On va donc "travailler avec les familles".
Ce "avec" est ambigu, dit l'auteur, car, s'il peut désigner l'échange entre collaborateurs en position égalitaire, il désigne le plus souvent un échange entre un professionnel (l'adulte) et un minorisé (le parent-enfant).
Les thérapies familiales peuvent elles-mêmes devenir << un élément de la mise en scène du scénario fantasmatique de minorisation.>>
Afin d'éviter cet écueil, P.Fustier suggère de partir de l'hypothèse que les parents souffrent peut-être d'un trouble du lien avec leur enfant et qu'à travers leurs revendications ils demandent à l'institution d'annuler l'élément responsable de ce trouble du lien ou de le prendre en dépôt. Il vaudrait donc mieux effectivement prendre en dépôt la "maladie", le trouble, que de "prendre en charge" le parent ou de se substituer au lien parental.

Un chapitre est consacré à "la violence et l'institution". Face à des comportements violents de la part des personnes accueillies, les travailleurs sociaux ou les soignants peuvent devenir entièrement occupés par l'autoconservation et ne plus parvenir à effectuer leurs tâches d'aide, d'éducation ou de soin. Les réglementations défensives peuvent alors proliférer.
Montrer de la considération pour les conduites d'autoconservation, travailler l'autre en soi, la violence en soi-même, comprendre que ne pas être détruit par les attaques a un effet de soin sur la personne violente, sont les pistes que proposent P.Fustier.

L'institution est aussi le lieu de différences et de discordances: tensions entre unité et morcellement, différenciation entre catégories de personnels, entre professionnels et usagers...
Le "principe différenciateur" opère des distinctions afin d'éviter la confusion. Il est d'ordre symbolique. Mais il doit se concrétiser dans une représentation ( emblèmes "phalliques", privilèges...) qui, elle, est de l'ordre de l'imaginaire.

Pour ce qui est de l'intervention des "psys", P.Fustier distingue trois modalités: le groupe clinique; la mise en élaboration du projet institutionnel; le travail sur ce qui est "subjectivé", projeté. Mais il souligne également les risques de l'interprétation qui peut être vécue comme une intrusion.
<< Nous postulerions volontiers, écrit-il, que le travail de l'équipe sur ses pratiques tient son efficacité du plaisir pris à penser ensemble qu'il devrait normalement provoquer.>>
Toutefois l'auteur n'aborde, dans cet ouvrage, ni la place du "psy" (interne ou externe à l'institution, par exemple) ni les rôles qu'il s'attribue ou qui lui sont attribués, ni les images ambivalentes qu'il convoque souvent. On se reportera donc utilement à son précédent livre "Les corridors du quotidien" (1993, Presses Universitaires de Lyon) dans lequel il consacrait un chapitre à l'analyse de cette place délicate, chapitre intitulé "un porte-croyance".
Il appliquait la célèbre phrase d'Octave Mannoni "je sais bien...mais quand même" à la demande faite au "psy": "je sais bien qu'il n'y a pas de recette...mais quand même, si vous pouviez apporter la solution à mon problème..." Toute-puissance attribuée, malgrè la dénégation première, qui peut se retourner en son contraire pour faire du "psy" quelqu'un d'incompétent et le mettre à la place de "l'objet-poubelle".
"Toute-puissance impuissante", disait P.Fustier, qui met le "psy" à la même place que les "usagers" font occuper aux éducateurs ou aux soignants.
<< L'objet est attaqué, écrivait-il, parce qu'il se dérobe et rend impossible l'acquisition de ses bonnes qualités...>> ou parce qu'il est imaginairement porteur de << ce que les éducateurs ou les soignants n'arrivent plus à contenir dans leur vie professionnelle.>>
Toute la difficulté consistant à mettre au travail ces représentations imaginaires du "mais quand même".

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Jean-Claude Guillebaud

Le principe d'humanité

(Seuil,2001)

 

Après l'entreprise nazie de déshumanisation - au cours de laquelle des millers d'hommes, de femmes et d'enfants furent réduits, selon les termes de Primo Levi, à l'état de boue, de bétail et d'ordure, entassés dans des wagons, numérotés,marqués, utilisés comme cobayes, gazés et enfin exploités comme matière première une fois morts - le code de Nuremberg reformula l'exigence de la dignité humaine en fixant des limites à l'expérimentation sur l'homme.

Ce "principe d'humanité" - selon lequel toute personne, même diminuée à l'extrême, inconsciente ou moribonde, reste membre de la communauté humaine et doit être respectée en tant que telle - ce principe, affirme l'auteur, est actuellement attaqué par l'intrication des trois révolutions que sont celles de l'économie globale, de l'informatique et de la génétique.

Plusieurs discours contemporains tendent à réduire l'humain à l'animal, à la machine, à la chose, à ses organes:

  • Il n'y aurait pas de solution de continuité entre l'animal et l'homme étant données leur proximité génétique et l'unité structurale du vivant ;
  • Psychisme, conscience, esprit, seraient réductibles à des processus analysables reproductibles artificiellement par des machines;
  • Quant au génome et aux organes, il n'y a plus à employer le conditionnel. Après celui du végétal, c'est notre patrimoine génétique qui peut être breveté; brevetage, souligne J.C.Guillebaud, étendu non plus simplement aux "inventions" génétiques mais aux simples découvertes. Les biobanques collectionnent les échantillons d'organismes humains; les embryons non utilisés pour les fécondation in vitro sont congelés; le clonage est devenu possible...Aux Etats-Unis se développe la pratique de l'extraction du sperme d'hommes mourants ou morts pour "reproductions posthumes"...Et certains préconisent de remplacer "filiation" par "traçabilité"...

Parallèlement une nouvelle biopsychiatrie veut réduire les troubles mentaux à de purs dysfonctionnements neurochimiques et relèguer aux archives les questions du sens, de l'inconscient et de l'ordre symbolique.

J.C.Guillebaud rapproche ce scientisme de celui du 19ème siècle et du début du 20ème, rappelant combien de scientifiques et de prix Nobel furent avant guerre proches des thèses eugénistes. Remaquillé, cet eugénisme revient, certains Etats (Chine, Japon, Inde, Arabie Saoudite, et d'autres) ayant pris certaines dispositions dans ce sens: interdiction de certains mariages, avortements sélectifs, stérilisations...Et Guillebaud de rappeler le débat en France entre l'essayiste Pierre-Henri Taguieff qui plaide pour un projet d'amélioration génétique de l'homme et un eugénisme "démocratique", et le biologiste Jacques Testart qui prévient des dangers et dérives d'une telle position.

J.C.Guillebaud ne critique pas les sciences mais un discours technoscientifique dominant qui a toutes les apparences d'une idéologie.
Les grandes idéologies du 20ème siècle ayant fait naufrage, la technoscience prendrait le relai, les limites éthiques à ses avancées étant progressivement débordées par la compétition internationale et l'étroitesse actuelle du lien entre Bourse et découvertes scientifiques.
Les politiques vont de concession en concession devant l'impératif industriel.
L'avis de scientifiques ( ou de médecins) est systématiquement demandé, avant celui de philosophes, sociologues, religieux ou autres, pour résoudre problèmes éthiques et sociaux, alors que l'atomisation du savoir et l'hyperspécialisation ne devraient pas
a priori les placer dans une position privilégiée pour juger de ces questions: Guillebaud cite en note un sondage d'opinion de novembre 2000, qu'il qualifie d'atterrant, indiquant que 53 % des français font plus confiance aux scientifiques qu'aux politiques (4 %) et aux intellectuels ou philosophes (19 %).
La science, dans la nouvelle conception scientiste, pourrait trouver à terme les remèdes aux maux de la condition humaine si nulle entrave ne lui est mise et si tout concept est révisable, y compris ceux de sujet et de personne humaine.
Là est, selon l'auteur, le danger.

Car ce qui définit l'humain n'est-il pas l'instauration de limites fondamentales ?
Ce qui définit l'humain, ce ne sont pas les différences génétiques mais les structures symboliques qui établissent les liens de parenté et différencient les générations, ce que le clonage pertuberait totalement.
Ce qui nous différencie de l'animal, c'est que ce dernier n'a pas de devoir et que les "droits" qu'on tend à juste titre à lui reconnaître maintenant (à condition qu'il ait la chance de ne pas être industrialisé ou de ne pas risquer de contracter la fièvre aphteuse), ces "droits", il ne les doit qu'à l'humanité de l'homme.

Cette humanité, dit Guillebaud, "n'est ni un constat vérifiable, ni le résultat d'une recherche, ni un héritage: c'est un projet" et, citant Cornélius Castoriadis: "une société montre son degré de civilisation dans sa capacité à se fixer des limites".

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D.Marcelli

" L'infantile : une perfection critique… "

Revue de "Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence"
Décembre 2001, Vol.49, n°8


Dans ce numéro consacré à "Crise(s) et pédopsychiatrie", le Professeur D.Marcelli aborde la question de l'infantile qui, dit-il, après avoir été considéré comme modèle inachevé, est maintenant présenté comme un "modèle en soi" : <<…modèle de richesses potentielles, de plasticité adaptative, de discriminations fines, de cognitions subtiles, modèle que l'adulte aurait intérêt à retrouver. >> L'enfant est ainsi promu à une place d'idéal.
La subjectivité est attribuée dès la naissance, les " droits de l'enfant " sont affichés, la contractualisation entre enfant et adulte est conseillée…et, comme corollaire, l'âge de la responsabilité pénale tend à baisser (notamment dans les pays anglo-saxons).

Dans le même temps, nous sommes passés, ajoute l'auteur, d'une pathologie du conflit d'autorité à une pathologie du conflit d'attachement.

Le lien d'alliance (home-femme, mari-épouse) s'étant fragilisé, c'est le lien de filiation qui est chargé << du pouvoir symbolique majeur…de donner un sens existentiel à la vie de l'adulte. >> Ce sont les parents qui ont maintenant tendance à chercher appui sur leur enfant : << d'un système de lien surmoïque on est passé à un attachement spéculaire narcissique. >>

L'appel à "la loi du père" devenant vain, c'est au "réseau" que les professionnels se réfèrent, face aux nouvelles psychopathologies de l'attachement/dépendance.

L'infantile est donc en crise parce qu'il y a obligatoire inadéquation entre l'enfant en développement et l'enfant merveilleux que nos sociétés érigent et que l'adulte aurait perdu.
Quel est ce bébé aux multiples compétences, que décrivent de récents manuels de psychologie de l'enfant, mais qui ne joue pas, l'item " jeu " n'étant même pas référencé dans les dits ouvrages ?

Pourtant, écrit Marcelli, le bébé n'est en fait personne. Il ne deviendra une personne qu'en s'appuyant sur l'histoire d'un autre.

Ce changement de statut de l'infantile est, selon lui, un facteur essentiel de la crise de la pédopsychiatrie.

Au sein de ce même numéro, dans son article "Peut-on parler d'une crise de la famille ?", la sociologue I.Thery insiste également sur la disjonction des fonctions parentales et conjugales ainsi que sur la déliaison des composantes de la filiation ( le "vrai" parent est-il: le géniteur ? le parent social ? le parent juridique ?…) Elle relève aussi que l'enfant est "désenfantisé" et devient "soutien de famille". << mouvement nouveau, dit-elle, où, de façon tout à fait inattendue, la prise en compte de l'enfance aboutit à un déni d'enfance et où l'infantilisation du monde des adultes aboutit à une parentification du monde des enfants. >>

Cette modification de l'infantile s'inscrit bien sûr dans la mutation de nos sociétés contemporaines.

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Jean Bergès, Gabriel Balbo

 Jeu des places de la mère et de l’enfant . Essai sur le transitivisme.

( Erès, 1998 ).

 

La notion de « transitivisme » pourrait a priori évoquer une relation duelle, imaginaire, une relation où, comme l’avait dit Wallon, les personnalités paraissent interchangeables. L’enfant qui voit son compagnon se donner un coup se met à pleurer et « souffre » à sa place.

J. de Ajuriaguerra avait parlé de « troubles de la distinction du soi ».

Soulignant que les approches successives de cette notion réduisent les phénomènes observés à la seule bipolarité, Balbo et Bergès considèrent au contraire le transitivisme comme situation à trois termes parce qu’inscrit dans le registre du discours.

Parce qu’elle sait que son enfant ne peut formuler ses besoins et qu’elle suppose chez lui un savoir, la mère lui adresse son propre affect au moment où elle le voit en danger, au moment où elle croit qu’il a souffert : « attention, tu vas te faire mal ! »,  « tu t’es fait mal !? ». La voix de la mère transfère un affect, son discours introduit le corps de l’enfant dans un corps de langage.

Elle effectue un « forçage » puisqu’elle le contraint à éprouver ce qu’elle a supposé qu’il éprouvait. C’est à ce discours maternel que l’enfant s’identifie et c’est ce discours qui lui fait découvrir son corps, qui lui donne savoir sur son propre corps.

L’affect de la mère est essentiel. Grâce à cet affect, écrivent Balbo et Bergès, la mère « peut faire passer dans son discours de quoi faire découvrir le corps à son enfant. Ce à quoi ferait obstacle un discours froid. » Devant telle ou telle conduite de son enfant, l’affect surgit chez elle et la pousse à le communiquer à l’enfant en le lui attribuant. Par ce jugement d’attribution le corps de l’enfant est placé dans le champ symbolique du langage.

Quand, ultérieurement, l’enfant dira « aïe ! » en voyant son semblable se cogner, et alors même que celui-ci n’a pas crié, c’est la place transitiviste de sa mère qu’il tiendra. Ce « aïe ! » proféré par celui qui n’a reçu aucune atteinte physique est, disent les auteurs, « création d’un signifiant accolé à l’affect qui en était dépourvu… » « Cela dit assez combien l’affect s’origine dans l’entendu, et non pas dans un quelconque éprouvé. »

Compris dans cette perspective, le transitivisme n’est pas un mimétisme mais une division : la mère se distingue de ce qu’elle éprouve pour pouvoir le dire à l’enfant, lequel est contraint de se diviser à son tour pour souffrir ce qu’il n’a pas éprouvé. Division affectant, dans le même temps, le monde puisqu’en disant « ça fait mal » on distingue ce qui est dangereux de ce qui ne l’est pas, et qu’en disant « c’est bon » on différencie ce qui est mauvais.

Cette approche, simplifiée par le raccourci que j’effectue, m’a paru très utile pour une meilleure saisie d’un certain nombre de problématiques psychopathologiques, notamment psychotiques et déficitaires.

A quoi constate-t-on en effet que s’identifie la parole psychotique, sinon à la lettre du discours d’un autre, sans l’affect ? De quoi est très souvent amputé, et précocement, l’enfant déficient mental, sinon (partiellement au moins) d’un savoir que son handicap (constaté ou pronostiqué) empêche l’adulte de lui attribuer ?

Nous est il possible de nouer avec l’infans dialogue ( c’est-à-dire discours à deux, discours entre deux, discours séparant et re-liant les deux ), de nouer avec lui affect et langage, si nous ne parvenons pas à le supposer compétent et désirant ?

Le travail thérapeutique ne consistera-t-il pas en définitive à essayer d’effectuer ce nouage tout en introduisant du jeu dans ce qui est devenu, ou est  resté, confusion des places ?

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Jean-Jacques Rassial

Le passage adolescent
De la famille au lien social

( Ed. Erès, 1996 )

C'est avec les concepts lacaniens que l'auteur aborde la question de l'adolescence, cette dernière pouvant être définie comme le moment logique d'une opération de validation ( ou d'invalidation ) de ce qui s'est effectué pendant la phase oedipienne, à savoir la première opération " Nom-du-Père " qui a dû limiter et orienter le désir de la Mère primordiale.

Devenu par la puberté semblable aux parents, l'adolescent constate que ceux-ci ne sont pas fondateurs mais transmetteurs, ce qui les disqualifie d'incarner imaginairement l'Autre, c'est-à-dire l'ordre symbolique et la Loi. Reconnu comme mortel, le père n'est plus à l'origine. L'Autre est donc en panne de consistance imaginaire.

Il y a une panne du Surmoi, dit J.J.Rassial, durant ce temps de passage d'un surmoi d'origine parentale (répressif mais aussi prometteur d'une jouissance ultérieure plus grande) à un surmoi collectif (discours du maître, fondateur du lien social).
L'écart entre discours parental et discours du maître est amplifié chez les enfants d'immigrés dont l'état de " pas tout à fait " ( pas tout à fait étrangers, pas tout à fait français ) peut conduire certains à renier l'un des idéaux (l'une des références culturelles) ou à imposer leur marginalité par la violence ou encore à différer le choix ( hypocondrie, mime de la débilité…).


A l'adolescence, les bouleversements de l'image du corps, la remise en cause de la différence parents / enfants ainsi que des postulats antérieurs et des limites, font que l'Imaginaire et le Symbolique s'avèrent défaillants à tenir le sujet qui tend alors à se précipiter dans le Réel pour " renouer " ce qui se délie, pour se " sentir réel ".
Le Moi-idéal guetté par la dépression cherchera soutien auprès d'un compagnon, d'une bande, d'un héros…
L'Autre gagnera une consistance du côté de la fratrie, du semblable, de l'Autre sexe…

Outre le développement de ces aspects théoriques, le lecteur trouvera dans cet ouvrage des remarques sur le verlan des beurs, sur " le psychopathe comme figure contemporaine ", sur les parents de l'adolescents, sur " le livre et les idéaux de l'adolescent ", sur l'état amoureux…

Ajoutons que Jean-Jacques Rassial a ultérieurement dirigé l'ouvrage " Sortir : l'opération adolescente " ( Ed. Erès, 2000 ) dans la collection psychanalytique " Le Bachelier " consacrée à l'adolescence.

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Joël Gendreau

L'adolescent et ses rites de passage

( Desclée de Brouwer, 1998)

L'auteur, psychosociologue, critique l'usage qui est souvent fait des expressions "rites de passage" et "initiation" à propos de l'adolescence.
Il rappelle que c'est l'ouvrage de Arnold Van Gennep, "Les rites de passage", en 1909, qui introduit ce concept. Van Gennep rassemblait sous ce terme des rites religieux marquant un changement de statut reconnu par la communauté. Il les décomposait en rites de séparation, rites de marge et rites d'agrégation.
Pour pouvoir parler de rites de passage, il faut donc, en toute rigueur, que ces derniers assurent l'accès d'un individu ou d'un groupe à un autre statut social, en général plus élevé que le précédent.
Trois questions, selon Gendreau, doivent être posées pour tout dispositif analysé dans cette perspective :
1. En quoi y a-t-il séparation entre un état antérieur et un nouvel état ?
2. Quelles valeurs, quels mythes, sont évoqués et développés ?
3. En quoi y a-t-il, in fine, agrégation à la société dans sa globalité ?

Passant en revue les usages contemporain de ces expressions en ce qui concerne la sexualité, le sport, les sectes, les bandes, le bizutage, etc… il s'attarde sur la toxicomanie, relevant que certaines substances, comme l'alcool dans nos sociétés occidentales, sont enracinées dans la culture et participent ou ont participé à de nombreux rites sociaux : l'alcool pour ceux de Dionysos, le haschich chez les Assyriens au 8ème siècle av.JC, le peyotl chez les indiens Huichols du Mexique…
Mais, alors que le chaman aide les siens et contribue à la cohérence sociale, le toxicomane est perçu comme déviant.
<< Avec les rites de passage de classe d'âge, écrit Gendreau, c'est toute la communauté qui est ainsi structurée… Dans les sociétés traditionnelles, de ces cercles [d'initiés] émanent les détenteurs de fonctions particulières et vitales pour l'ensemble : fonctions de relations privilégiées au sacré, fonctions de type soignant, fonctions guerrières.>>
A l'inverse, les marqueurs modernes (langage, musique, vêtements, tags…) indiquent une marginalité, une rupture, une revendication identitaire, voire un danger pour la communauté. De plus, il n'y a pas, dans ces "rites" et "initiations" modernes, d'initiateurs, de mythes fondateurs, d'inscription sociale de la mort (celle-ci n'étant plus "mort-renaissance" mais ennemie à vaincre).
En leur absence, l'adolescent n'est-il pas à la recherche d'ersatz et de ce qui pourrait suppléer le passeu
r ?

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Jean-Claude Stoloff

Les pathologies de l'identification
Autisme, névrose, états-limites

( Dunod. 1997 )

 

J.C. Stoloff rappelle les distinctions faites par Piéra Aulagnier entre:

  • l'originaire, où les représentations psychiques élémentaires seraient essentiellement constituées de "pictogrammes de jonction" ( représentations d'union de l'objet et de sa zone complémentaire - bouche-sein par exemple - avec affect de plaisir ) et de "pictogrammes de rejet" ( représentations de disjonction entre l'objet et sa zone complémentaire, avec affect de déplaisir; par exemple, expérience d'arrachement brusque du mamelon );
  • le primaire, où les représentations ont les caractéristiques du fantasme, avec connaissance d'un Soi et d'un non Soi, mais avec << attribution d'un sentiment de toute puissance du désir de l'autre sur soi et du désir de soi sur l'autre >>; période où règne l'identification projective;
  • le secondaire, où le sujet accède au langage et se constitue comme "je".

Il rappelle par ailleurs la distinction freudienne entre d'une part les pulsions sexuelles sur lesquelles s'appuient le principe de plaisir et la satisfaction auto-érotique, et d'autre part les pulsions d'auto-conservation sur lesquelles s'appuient le principe de réalité et l'orientation du psychisme vers l'objet.
Cet objet, en l'occurrence l'Autre humain, apporte à l'infans les "formes symboliques" qui structurent le champ de l'auto-conservation selon les axes du système de parenté, de l'identité de genre, du langage fondamental (ensemble d'énoncés conventionnels permettant de nommer choses, affects, éprouvés corporels et corps du sujet), selon enfin l'axe subjectif situant l'enfant comme doué d'une autonomie de pensée.

Sur ces bases Stoloff établit la différenciation entre identification primaire et identifications secondaires.

  • Dans l'identification primaire l'enfant s'identifie comme sujet du monde humain. Un Soi se constitue avec un dehors et un dedans, l'imago du semblable demeurant toutefois indifférencié sexuellement. A ce stade, l'entourage joue un rôle de miroir et donne la base d'une identité symbolique et de l'auto-estime, par l'amour et la tendresse apportés.
  • Les identification secondaires sont de deux types:l'identification hystérique est identification au désir de l'autre ( ce que Lacan a particulièrement développé ); l'identification narcissique est l'appropriation par le moi de certaines qualités de l'objet d'amour (il s'agit d'"être comme").

Le processus identificatoire est quant à lui << un mouvement continu du sujet se déroulant la vie durant >>, consistant en une succession d'identifications et de désidentifications. Il appartient, selon l'auteur, au registre de la sublimation, le "Soi" puis le "je" ayant en permanence à gérer l'opposition entre principe de plaisir et principe de réalité.

Quelles sont, en conséquence, les pathlogies de l'identification ?

  • Dans l'autisme, l'accès à l'identification primaire est barrée: il y a absence d'identification projective, la psyché fonctionnant en court-circuit (on pourrait dire aussi: de façon circulaire ) en cherchant à combattre l'irruption du pictogramme de rejet, l'angoisse se manifestant lorsqu'une séparation Soi-non Soi risque d'apparaître.
  • Dans les psychoses, une faille s'est faite dans l'identité symbolique du sujet.
    Tous les axes symboliques énumérés plus haut sont touchés dans la schizophrénie (déni de toute autonomie de pensée, absence de place dans le système de parenté, conflit entre langue commune et langue maternelle...).
    Dans la paranoïa, l'axe de parenté reste libre mais la relation de haine domine;le fantasme de scène primitive étant assimilé à un acte d'exclusion de l'un des deux partenaires. Le sujet se sentirait le produit non de l'amour et du désir mais de la haine.
  • Dans les états-limites, il s'agirait souvent d'une faille au niveau du Soi, atteignant la confiance en soi et l'auto estime, des comportements de suppléance narcissique se développant alors.
  • Dans les perversions, le processus de désidentification primaire est entravé dans le secteur de la différence sexuelle.
  • Dans les névroses, il n'y a pas de pathologie de l'identité mais le "je" est capté par des identifications fantasmatiques.

<< Identifier et s'identifier, dit en conclusion J.C.Stoloff, sont pour le sujet humain...une résultante de son accès au symbole >> et << toutes les identifications ne sont pas pareillement aliénantes >>. Ce que la psychanalyse peut permettre, c'est << une fluidité des identifications, une mutation du processus identificatoire.>>

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Simone Korff-Sausse

D'Oedipe à Frankenstein. Figures du handicap

(Ed. Desclée de Brouwer. 2001)

 

Des mythes d'Oedipe et du Minotaure à celui de Frankenstein, en passant par le Richard III de Shakespeare, les oeuvres de Toulouse-Lautrec, de Joë Bousquet, des écrivains japonais Kenzaburô Oé et Mishima, S.Korff-Sausse analyse ce qui, dans le handicap, effraie et induit le rejet.

Sachant que la loi grecque et romaine ordonnait d'exposer, entre autres, les enfants porteur d'une malformation, ne peut-on supposer, dit elle, que l'infirmité d'Oedipe ( nom signifiant " pieds enflés " ou " pieds percés ") aurait été à l'origine, et non la conséquence, de son abandon à la mort par ses parents ?

L'anomalie engendre chez l'autre un sentiment d'" inquiétante étrangeté " (Freud) et questionne sur l'origine et sur la filiation.
Le sujet handicapé, par ce qui du regard d'autrui lui est renvoyé, se voit seul de son " espèce " (le vilain petit canard), étranger, hybride (le Minotaure), voire monstrueux (Frankenstein).
A cette monstruosité, à la difformité, il peut alors se conformer tout entier, comme Richard III, ou utiliser son infirmité pour séduire et faire rire (H. de Toulouse-Lautrec), l'exhiber et la fétichiser (le personnage Kashiwagi, de l'écrivain Mishima).

Tout se trame dans ce qui est perçu, ou absent, dans le miroir du regard de l'autre. Et ce regard, au cours de l'histoire, n'a guère été tendre, en général, pour celui qui est différent. Mais, rejoignant certaines préoccupations contemporaines (voir note de lecture sur "le principe d'humanité") l'auteur se demande si nous n'entrons pas dans un temps où la question pourrait ne plus être celle d'Oedipe (" qui m'a engendré ? ") mais celle de Frankenstein ("de qui suis-je le double, le clone ?").

Donner sens au handicap, c'est ce que cherchent les parents du sujet handicapé et ce sujet lui-même. Ce sens -signification et direction- se construit par un questionnement sur le désir de l'Autre et au travers de ce qui fait écart et différence (entre les sexes, les générations...).
Si, toutefois, venait à prévaloir l'auto engendrement ; si, comme pour le vampire, le miroir ne renvoyait plus rien ; si le désir des parents devenait "projet" parental ; si les couples se sentaient obligés, par une nouvelle norme, de concevoir un enfant indemne de tout "défaut"; si l'opposition du permis/défendu était remplacé par celle du possible/impossible...vers quels nouveaux bouleversements irait la construction de l'identité humaine ?

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Julien Friedler 

 Psychanalyse et Neurosciences 

( PUF, 1995 )

 

Pour avoir eu, infans, les pieds liés au moment de son abandon, il porta le nom d’ Œdipe, c’est-à-dire « pied enflé ». Lâché du haut des cieux par Zeus, le dieu forgeron Héphaïstos en devint boiteux. Achille quant à lui était faible du talon…
Tous les descendants de la lignée thébaine révèlent, d’une façon ou d’une autre, une démarche déficiente.

Autre temps, autre lieu : le thème de la boiterie se retrouve chez les Bororo d’Amérique.
Partout, il paraît en rapport avec la tromperie, les origines, le Nom, le Lettre, le Sexe et la Castration.
Cette constante, que souligne Julien Friedler et qu’il résume par l’équation « pied + phallus = le symptôme », n’aurait-elle pas un fondement dans le Réel, autrement dit dans le corps ?

Articulé à la boiterie un autre signifiant majeur de l’inconscient parcourt les mythologies : la Tache. Depuis les agneaux tachetés de la Genèse jusqu’au jaguar des Bororo – en passant par la verrue qui obséda « l’homme au loup » de Freud et l’amena à reprendre une analyse avec madame Brunswick – il est universellement question de morceaux de peau qui font signe.

Conscient du côté périlleux de l’entreprise, l’auteur s’interroge sur les bases neurologiques de l’inconscient et se propose de jeter quelques ponts entre l’élaboration psychanalytique, notamment lacanienne, et ce que les neurosciences ont apporté.

Concernant la boiterie et l’association pied-phallus, il tente de rapprocher la notion de « phallus imaginaire » de celle du « membre fantôme » ( illusion qu’ont souvent  les amputés de posséder encore le membre qui leur a été enlevé ). De plus, il constate la contiguïté pied-pénis au niveau de l’homoncule sensitif ( cartographie sur le cortex cérébral de la projection des récepteurs sensoriels ).

Pour ce qui est des relations entre taches cutanées, œil, castration et métabolisme sexuel, il suggère, à la suite du biochimiste bulgare Ganev, le rôle central d’une part de la mélanine (pigment absorbant la lumière) et de ses transformations, d’autre part de l’axe reliant l’épiphyse aux structures pigmentaires du tronc cérébral, plus particulièrement le « locus coeruleus » dont une partie est responsable de l’atonie posturale pendant le sommeil paradoxal. Ce « locus coeruleus », toujours atteint dans la maladie de Parkinson, ne serait-il pas aussi impliqué (mal informé, par exemple) dans la névrose obsessionnelle ? Dans les deux cas se produit un arrêt, un blocage.

Quand l’obsessionnel  passe son temps à nettoyer, raturer, gommer, annuler, n’est-il pas aux prises avec la Tache originaire ? Ne pourrait-on pas dire, au pied de la lettre et à même la peau, qu’il ne peut se dé-tacher ?

« En cour de gestation, dit Friedler, un seul organe maternel se noircit, s’obscurcit et se pigmente : l’aréole », ce cercle qui entoure le mamelon du sein. Pour le nourrisson, aux premiers temps de l’existence, « la mère n’était alors qu’un trait. Elle se signalait d’être une marque ». « Au moment de se détacher, de se dénouer de la mère, le surgissement de certaines traces pourrait contenir comme un écho du Réel .» « L’homme aux loups », obsédé par le fantôme de la verrue maternelle, courra les dermatologues.

Riche de références, théoriquement osé, ce livre présente d’étonnants rapprochements.
Comme il le précise lui-même, l’auteur a voulu faire « un pari d’ouverture ».

                                                                                                                (haut de page)

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